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Publié par Le blog de Jean-Marie Ndagijimana

Par RFI

De-la-Sabliere-Jean-Marc.jpgCas d'étude libyen contre cas d'étude syrien : pourquoi certaines dictatures tiennent bon quand d'autres tombent ? Cas d'étude malien contre cas d'étude centrafricain : pourquoi la France intervient-elle dans tel pays, mais pas dans tel autre ? Qu'y a-t-il derrière ces paradoxes ? Le diplomate français Jean-Marc de La Sablière a été directeur Afrique au Quai d'Orsay, puis ambassadeur aux Nations unies. Aux éditions Robert Laffont, il publie Dans les coulisses du monde. Et répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : La responsabilité de protéger les peuples contre un crime de masse, tel est le sens d'un vote de l’ONU passé presque inaperçu en 2005. C’est pourtant ce vote qui a permis aux pays occidentaux d’intervenir il y a deux ans en Libye. Peut-on parler d’un tournant ?

Jean-Marc de La Sablière : En fait, le tournant s’est fait dans les années 1990. Et l’affaire du Rwanda a beaucoup pesé. En 2005, on adopte, mais rien ne se passe. L’idée que la communauté internationale puisse intervenir a été acceptée avec difficulté par certains, ceux qu’on appelle des « souverainistes ». Rien ne se passe, et puis voilà qu’interviennent le Printemps arabe et l’affaire libyenne. Là, on redécouvre le principe de la responsabilité de protéger, et la France se met en avant. Rappelez-vous Alain Juppé allant au Conseil de sécurité au moment où il y a une quasi certitude que si on n’intervient pas, il y a un risque de massacre des populations à Benghazi. Mais malheureusement, même si la tendance générale est de prendre de plus en plus en compte ces drames (le fait d’avoir déféré l’affaire du Darfour à la Cour pénale internationale va également dans ce sens) la Russie et la Chine n’ont pas voulu qu’on se réfère à ce principe en Syrie.

 

Le Conseil de sécurité de l'ONU, à New York.
29/10/2011 - ONU/OTAN/LIBYE

Ce blocage de Pékin et de Moscou sur la Syrie, n’est-ce pas justement le contrecoup de leur feu vert en Libye il y a deux ans ? Ne s’en mordent-ils pas les doigts ?

Ils ont eux-mêmes, mais également l’Afrique du Sud ou le Brésil, critiqué l’usage qui a été fait de cette résolution 1973 par l'Otan. Ils ont dit : « L’action militaire qui a continué a été jusqu’à favoriser le changement de régime en Libye ». A cela, on peut répondre que pour protéger les populations, le changement de régime était probablement ce qu’il fallait. Dans tous les cas, il y a eu un débat. Ils nous ont dit : vous ne nous y reprendrez pas. Mais je suis convaincu que c’est un prétexte. La vraie raison, c’est qu’ils ont des intérêts, et des intérêts géostratégiques, en Syrie et dans la région. C’est peut-être mon expérience aux Nations unies, où j’ai passé 15 ans, qui me conduit à faire cette réflexion. C'est peut-être aussi que j'ai l'espoir que c’est une pause. Quand je regarde tout ce qui a été accompli depuis ces drames que j’ai évoqués en 1990, je trouve que le Conseil de sécurité a de plus en plus pris en compte ces questions des droits de l’homme.

 

Vous dites souvent : « Nicolas Sarkozy est un bon président dans la tempête, un moins bon président par temps calme »...

C’est vrai que je dis souvent qu’il est bon dans la tempête, et moins bon par temps calme. Parce que c’est la réalité. Par temps calme, je trouve que son action, notamment en Méditerranée, n’a pas toujours été cohérente.

Vous pensez à ses relations en dents de scie avec la Libye et la Syrie ?

Exactement. Lorsqu’il y a de grosses vagues, une grosse tempête, peut-être est-ce sa nature profonde que d'être, au fond, à l’aise dans ces situations-là. C’est plus un homme de « coups », et lorsque l’on fait des coups ici ou là, à droite ou à gauche, la cohérence n’est pas toujours assurée.

Vous avez été directeur Afrique au Quai d’Orsay sous François Mitterrand et Jacques Chirac. C’était le temps de la Françafrique, le temps où Paris envoyait ses soldats dans beaucoup de pays africains en crise. En décembre dernier, quand le président centrafricain François Bozizé a demandé l’aide militaire de la France, François Hollande a dit non. A-t-il eu tort ou raison ?

Est-ce qu’il faut intervenir dans l’affaire centrafricaine ? Je me demande si la France peut ne pas intervenir... Quand vous avez, au centre de l’Afrique, un Etat qui défaille, dans le monde global où nous vivons aujourd’hui, les effets négatifs de ce territoire sans Etat peuvent se propager énormément. Est-ce que l’on peut ne pas agir ? Alors, intervenir ne veut pas toujours dire « intervenir militairement », mais est-ce que l’on peut ne pas aider ? Ce sera difficile pour la France, si la situation se détériore, de ne pas aider les pays de la région.

Ce que dit l’opposant centrafricain Martin Ziguelé, c’est que quand la France intervenait, comme du temps de Jacques Chirac en 2006, elle empêchait les Centrafricains de prendre leurs responsabilités. « Elle nous infantilisait », dit-il...

Je comprends. J’ai souvent entendu ces réactions. En réalité, on vit peut-être encore, toujours, une époque de transition. Et les pays africains ont besoin d’une aide. Malgré les efforts qui sont faits par l’Union africaine, ou même à un niveau sous-régional avec la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, NDLR), si on pense au Mali, ils ne sont pas capables de prendre en charge ou d’aider les pays qui sont défaillants, parce qu'ils n’ont pas encore les moyens, les ressources. Regardez l’affaire du Mali : dans certaines situations, il faut qu’il y ait un partage. L’histoire nous oblige. Dans certaines situations, nous devons aider.

Dans votre livre, vous parlez beaucoup du Rwanda. « Qui a tiré sur l’avion de Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994 ? », vous demandez-vous en substance. Vous écrivez même que la thèse la plus plausible, celle qui prévaut, est celle d’un attentat du Front patriotique rwandais (FPR) du président Paul Kagame. Pourquoi penchez-vous pour cette thèse ?

Je dis deux choses. Je dis d'abord que je ne porte pas d’accusation tant que la preuve n’est pas apportée. 800 000 morts, c'est une tragédie qui suppose qu'on essaie de parler de cette affaire avec rigueur. Maintenant, je crois que c’est effectivement la thèse la plus plausible. A l’époque, Kagame a perdu la bataille politique qu’il pensait avoir gagnée avec les accords d'Arusha. Et comme il veut absolument gagner, il reprend les armes. Donc, je pense que c’est lui. Maintenant, qu’est-ce ça en fait ? Le responsable ? Je le cite et je dis dans mon livre qu'il serait malhonnête que de le dire, de même qu’il serait malhonnête de dire qu’il ne savait pas qu’il y aurait des massacres. Parce que dans la région, ces situations de massacres de grande ampleur -pas de génocides de 800 000 personnes mais des situations dramatiques d’une dizaine de milliers de personnes- on les avait connues, et même plus récemment au Burundi, on les avait connu avec l’assassinat de Melchior Ndadaye (premier président hutu élu au Burundi et assassiné 100 jours après son accession au pouvoir en 1993 après un putsch raté). Il y avait peut-être eu entre 50 et 100 000 morts. Tout le monde savait que la prise militaire de Kigali pourrait provoquer les massacres, mais personne ne pouvait songer à cette horreur, à cet enfer qui a eu lieu. Ce serait malhonnête de penser que lui-même, en faisant ça, savait qu’il y aurait 800 000 personnes. Mais il savait qu’il y aurait des massacres.

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N
<br /> Merci pour votre réponse à mon commentaire. Il ne reste qu'à patienter jusqu'à ce que le "secret-défense" soit levé (avec l'espoir que ce ne sera pas pour très longtemps encore!)<br />
N
<br /> Dans cet article, il est dit que Jean-Marc de la Sablière a été "Directeur Afrique au Quay d'Orsay". A ce titre, il a sans doute eu accès à des documents  secrets et sensibles relatifs<br /> au dossier de l'attentat sur l'avion de Habyarimana. Je me demande si c'est sur base de ces supposés documents (encore classés "top secret"?) qu'il insinue (il ne l'affirme pas 100%) que<br /> c'est le FPR qui est l'auteur de ce forfait. C'est une demi-affirmation qui méritait d'être appuiyé par des élements justificatifs, et je ne les vois pas dans cet article.<br />
L
<br /> <br /> M. Nsanzabaganwa,<br /> <br /> <br /> Vous avez totalement raison, mais vous savez comme moi que de tels documents classés confidentiels ne peuvent pas être étalés sur la place publique. Les juges (qu'ils s'appellent Bruguière ou<br /> Trévidic) n'en savent pas plus que vous et moi ou M. De la Sablière. Le jour viendra où le secret-défense sera levé. Et ce jour-là, les auteurs de l'attentat du 6 avril 1994 paieront.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />