J'AI VU LES HOMMES DE KAGAMÉ MASSACRER DES CIVILS DANS LA RÉGION DES GRANDS LACS
12.09.2011
Par Paul Moreira
Je n'ai aucun doute sur la réalité du génocide des Tutsis. Aucun doute sur la lâcheté des occidentaux qui ont laissé faire et évacué uniquement leurs concitoyens alors que les Hutus massacraient des hommes, des femmes et des gosses sous leur nez.
Mais... L'histoire ne s'est pas arrêtée là, en 1994, avec la victoire du Tutsi Paul Kagamé et ses troupes sur les génocidaires Hutus. L'histoire a débordé au Congo-Zaïre, dans les Grands Lacs. En 2008, j'ai découvert que les Tutsis Rwandais avaient armé une milice qui va massacrer des civils par centaines de milliers. Que la terreur qu'ils ont répandu au Congo va aboutir à la mort de quatre à cinq millons d'êtres humains. Oui, vous avez bien lu : quatre à cinq millions. Les plus grandes pertes civiles depuis la seconde guerre mondiale.
Je découvre tout cela lors d'un reportage au Congo, entre Goma et Ruthshuru. J'enquête sur les trafics d'armes et de minerai précieux. Et j'arrive au coeur des ténèbres. Une milice dirigée par un certain Laurent Nkunda tue les populations civiles. Je rencontre l'un de ces groupes armés, ils sont dirigés par un officier rwandais. A la faveur de la confusion des combats, je réussis à passer dans des zones qui n'étaient plus accessibles depuis longtemps. Des milliers de réfugiés sortent de la jungle. Des femmes portant toutes leurs possessions sur leur tête et un regard d'animal traqué. Des milliers de personnes marchant dans un silence lugubre. La tragédie est habituellement bruyante. Ils ne parlaient pas.
- Pourquoi fuyez vous ?
- Laurent N'kunda nous tue, me répondaient les femmes dans un étrange murmure, elles chuchotaient comme si elles avaient peur d'être entendues.
N'kunda était alors considéré par l'occident comme un type présentable. En 2009, il a commis un massacre de trop, un massacre filmé, et les Rwandais l'ont rapatrié à Kigali où, aux dernières nouvelles, il vivrait en résidence surveillée.
J'avais alors publié une note sur mon blog. Je la republie ici. Pour mémoire. Et parce que Kagamé est à Paris.
Ecoutez ce que m’ont raconté des dizaines et des dizaines de personnes, témoignages concordants de massacres passés à l’as. En 1996, deux ans après le génocide des Tutsis par les Hutus au Rwanda, les Tutsis Rwandais ont franchi la frontière et ont agi à peu près de la même manière sur les populations civiles Hutus qui étaient au Congo. Les Hutus rwandais ont été massacrés, bien entendu. Mais aussi les Hutus congolais qui n’avaient rien à voir avec le génocide commis au Rwanda. Le 30 octobre 1996, et cette date revient dans toutes les bouches comme une musique de malheur, les Tutsis rwandais ont réuni des hommes dans un stade du côté de Rutshuru, dans le Kivu. Ils venaient d'envahir le pays et voulaient présenter les nouvelles autorités aux habitants, disaient-ils. Comme les Rwandais se comportaient avec beaucoup de correction, la population civile ne s'est pas méfiée. Ils sont allé au stade. Les soldats rwandais ont alors demandé aux gens de lever la main selon leur groupe ethnique. Ils ont fait un groupe avec les Hutus et ils les ont emmenés dans une carrière. Il leur ont ligoté les bras et les ont tués un par un avec des coups de bêches sur la tête. J’ai rencontré un survivant, un type donné pour mort et dont le cœur est reparti. Il y a toujours des accidents de ce type dès qu’on passe aux massacres systématiques. Il s’est réveillé au bout de trois jours au milieu de sa femme et de ses trois filles assassinées. Combien sont morts dans ces jours là ? Difficile à dire, impossible même, personne n’a compté. Village par village, les survivants donnent des chiffres invérifiables. On parle de plusieurs dizaines de milliers rien que dans la petite région de Rutshuru. La MONUC, la mission des nations unies présente sur le terrain n’a pas trouvé le temps de compter depuis toutes ces années. Elle a posé du barbelé autour des sites où sont ensevelis les gens, de l’herbe a poussé et l’oubli avec. Notre oubli, pas celui des Congolais... L’un de ces fonctionnaires onusiens m’a confié, off the record, que, oui, en 1996, quand les Tutsis du Rwanda ont commencé à ouvrir les charniers de leur côté de la frontière et à prendre conscience des « proportions bibliques » qu’avait pris le massacre de leur population, ils sont entrés au Congo pour se venger sur les Hutus qui vivaient au milieu des populations congolaises. Et ils ont tué, de manière indiscriminée, Hutus rwandais et congolais, suspects de les accueillir. D’une certaine manière, le fonctionnaire de la MONUC semblait comprendre le contre-massacre. Pas le justifier. Juste le comprendre. Et il m’a laissé entendre qu’il fallait construire en regardant l’avenir. C’est un sentiment assez répandu dans cette région du Congo : n’en parlons pas, regardons de l’avant. Le malaise aussi, du fait que les victimes d’hier soient devenues des bourreaux… Alors on s’est tu. Et les massacres ont continué jusqu'à maintenant. Des groupes armés appuyés par les Tutsis rwandais sont restés présents à l’Est du Congo, là où le pays fait frontière avec le Rwanda. Et certains (pas tous et pas eux uniquement…) ont continué à tuer. Jusqu’au mois d’aout dernier, en 2007, en ce qui concerne la région de Rutshuru. Tout au long de la route qui va vers l’Ouganda, j’ai vu des charniers. Des civils tués par une brigade appelée Bravo. Par une négociation politique un peu bizarre, un groupe armé pro-Rwandais a été intégré pendant quelques mois dans l’armée régulière congolaise. On lui a confié la gestion d’une zone peuplée majoritairement de Tutsis. Un certain Innocent (ça ne s’invente pas) était responsable du coin. Un tueur, disent les habitants. Ils étaient partis se réfugier dans la forêt. Parfois, ils tentaient de se glisser dans le village. S’ils croisaient un gars de la brigade Bravo, disent-ils, ils pouvaient être tués. Des dizaines de témoignages concordants racontent la même chose. Des villages entiers réunis, fébriles, car ils savent le risque qu'ils prennent de parler, ils savent qu'à tout moment les hommes en armes peuvent revenir, ils sont là, à quelques kilomètres à peine. Ils ont toujours pris le risque de parler. Pour la mémoire des morts et pour que cela cesse. Et nous n’avons pas entendu. Depuis 1996, la guerre au Congo aurait causé la mort de près de quatre millions de personnes. Entre 200 000 à 300 000 par balles et le reste (3,7 millions…) du fait de l’écroulement du système sanitaire, des épidémies, de la malnutrition, conséquences indirectes de l’insécurité. Tous ces morts ne peuvent être imputables aux Rwandais, bien sûr. Le problème des guerres qui ont lieu dans les pays sans Etat c’est que les armes sont distribuées et vendues à droite à gauche. Elles deviennent un moyen de survie, l’armée régulière elle même se décompose et abrite des cliques mafieuses vivant sur les ressources du pays. Car ce coin est l’un des plus riches du monde. Du minerai. Cassitérite, coltan, or, diamants… Le minerai a alimenté le chaos. Tout le monde en voulait. Les Rwandais, les Congolais ripoux de l’armée, les Ougandais… Et nous, l'Occident, en avions besoin. Alors on l’achetait. Et on le transportait.
Partout dans le Kivu, le groupe Bolloré s’affiche fièrement en transporteur numéro un. En 2003, quand l’ONU avait enquêté sur le pillage des ressources naturelles du Congo, elle avait rencontré presque tous les acteurs du drame. Elle voulait convaincre les acteurs économiques que ce commerce tuait et qu’il fallait désinvestir tant que la paix n’était pas revenue. Certaines multinationales avaient accepté de ne plus acheter de minerai venant de ce coin là. Sachant que ce commerce alimentait des dizaines de milliers de morts civiles. Mais quand les experts de l’ONU avaient voulu interroger les gens de Bolloré (SDV), le transporteur français avait refusé de les rencontrer et d’interrompre ses activités. Ainsi, SDV a eu l’honneur de se retrouver sur une liste de « non répondants » émise par les experts de l’ONU aux côtés de trafiquants d’armes aussi célèbres que Victor Bout, le russe qui inspira le personnage de Nicholas Cage dans Lord of War…