Bernard Kouchner ou le retour de la France en République démocratique du Congo
Juriste, consultant indépendant pour l’Afrique centrale.
(Auteur de Congo-Kinshasa, la décennie 1997-2007, Editions du Cygne, Paris, 2008)
En Afrique, les Français aiment bien les démocraties de pacotille et particulièrement, sous l’influence de B. Kouchner, celle qui trône sans partage au Rwanda. On peut s’interroger sur les raisons qui animent M. Kouchner, artisan principal de la réconciliation franco-rwandaise. Ce n’est sans doute pas la défense de la francophonie, le Rwanda de Paul Kagamé vient de lui tourner le dos en adhérant au Commonwealth ; ce n’est pas non plus la défense d’intérêts économiques français dans la région des Grands Lacs, ils sont quasi-nuls. A la limite, peut-on imaginer que cette réconciliation avec le Rwanda est indispensable pour que la France puisse à nouveau peser sur la géopolitique de la région et caresser l’espoir de mener à bien une solution de paix en RDC. Comment, en effet, concevoir, sans réconciliation préalable avec le Rwanda, que la conférence internationale sur la coopération économique dans la région des Grands Lacs, prévue en 2010, à l’initiative de la France, puisse avoir la moindre chance de réussite ? Cependant, en alignant, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, sa diplomatie sur celle des Etats-Unis, la France s’est disqualifiée face aux Américains – tout-puissants dans les Grands Lacs - dont elle est devenue un partenaire servile : le retour de la France dans l’OTAN, sa participation à la guerre américaine en Afghanistan, sa dénonciation sans nuances du régime iranien, son soutien toujours plus évident à Israël en sont autant de témoignages. Non, ce qui a conduit M. Kouchner à réconcilier la France avec le Rwanda est à la fois beaucoup plus personnel, en ce qui concerne le Rwanda, et beaucoup plus mercantile, en ce qui concerne la RDC.
M. Kouchner s’est toujours montré proche de la minorité tutsi, dont on a pu écrire, sans crainte du ridicule, qu’elle était d’origine « nilotique » par opposition à la majorité hutu, qui serait bantoue : le « seigneur d’Orient » tutsi contre le nègre « banania » hutu. Ce sont des inepties, mais la vision des Tutsi, dont la littérature coloniale a été jusqu’à soutenir qu’ils étaient des « juifs africains », en proie à la barbarie des Bantous (les Hutu), n’est pas pour rien dans la perception qu’à M. Kouchner du drame rwandais. Ce drame, il ne le voit qu’à travers le génocide qui frappa les Tutsi en 1994 ; pas une seconde n’est évoqué le massacre perpétré, par l’armée rwandaise, en 1996/1997 de plus de 200 000 réfugiés Hutu en fuite dans les forêts de l’Est de la RDC ; sur ce massacre, la lumière n’est pas encore faite aujourd’hui, et il n’est pas « politiquement correct » d’en parler. Tout comme les violences inouïes faites aux Palestiniens ne pèsent rien tant Israël doit être soutenue en raison de la Shoah, le génocide de 1994 dédouane le Rwanda aux mains du FPR de toute responsabilité dans l’instabilité du Kivu et dans les crimes commis contre sa population. Evidemment la Shoah est une abomination absolue, évidemment le massacre à grande échelle de 1994 dont furent victimes les tutsi est une barbarie totale, mais pourquoi tolérer que ces drames doivent exonérer Israël et le Rwanda du FPR, eux-mêmes coupables de crimes affreux commis depuis de longues années, en Palestine et au Kivu ?
La réconciliation franco-rwandaise – même si, côté rwandais, elle n’est que de façade – ne devrait pas se faire sur le dos de la RDC. Or, malgré les dénégations françaises, après divulgation du plan de paix pour le Kivu le 16 janvier 2009, énoncé par le président Sarkozy, précédé, en décembre 2008, de celui concocté par l’Américain Herman Cohen, nul ne peut douter que, dans l’esprit des Occidentaux, l’atomisation du Congo demeure un moyen de satisfaire leur convoitise des richesses du sol et du sous-sol du Kivu en s’appuyant sur le Rwanda, exigu et surpeuplé, sans ressources autre que l’agriculture, pays entrepôt des pillages du Congo qui contribue fortement à leur transfert en Europe ou aux Etats-Unis. Qu’a fait M. Kouchner lors de sa tournée africaine ? De la politique au Rwanda, où il a réaffirmé la « repentance » française ; et quoi au Congo ? Rien d’autre de vraiment plus important que d’annoncer la visite en RDC, prévue pour février prochain, d’investisseurs français.
Offrir le Congo aux entreprises françaises ! Voilà l’ultima ratio de l’agitation française actuelle en Afrique centrale. Il importait déjà de s’interroger, très récemment, sur l’étrange sollicitude du président français à l’égard de la forêt du bassin du Congo dont il se proclamait, avant Copenhague, le défenseur planétaire. Derrière cette sollicitude se cache en réalité la volonté d’implanter en RDC les groupes français d’exploitation forestière, présents déjà au Cameroun, au Congo-Brazza, au Gabon, en Centrafrique – sans, soit-dit au passage, que leurs méthodes d’exploitation ne montrent le moindre souci environnemental ou social à l’égard des populations autochtones - mais encore absents de RDC. La RDC n’a pas besoin des sociétés forestières françaises, ni d’Areva pour exploiter l’uranium, ni de Vinci pour la rénovation de l’aéroport de N’Djili, ni des Ciments Lafarge, ni de France Telecom, ni d’Alstom pour réhabiliter Inga II, ni de Suez ni de Veolia pour exploiter l’électricité, ni d’aucune entreprise française qui ne viendrait, après tant d’autres, que pour se gaver dans le libre-service congolais. C’est de développement durable, de transferts technologiques, d’aide à la création d’une industrie nationale que le Congo a besoin. Est-ce cela que la France propose au Congo ? Non.
On ne peut être qu’être triste et déçu de constater que le Congo semble condamné à supporter la tutelle de la « communauté internationale » et que la visite du chef de la diplomatie française ne sert pas à modifier cette malheureuse constante, bien au contraire. A Bernard Kouchner, condescendant et content de soi, pourquoi n’a-t-on pas demandé, par exemple, comment la France croyait possible la relance d’une coopération régionale, au travers de la CEEAC sans réelle souveraineté de l’’Etat congolais sur le Kivu ? Pourquoi ne lui a-t-on pas demandé aussi, comment il pouvait imaginer la réussite des initiatives françaises dans la région sans qu’aient été résolues les causes premières des guerres du Kivu : d’une part, la question de la propriété foncière sur fond de surdensité de population, tant au Kivu qu’au Rwanda voisin, et, d’autre part, la question du contrôle de l’exploitation des ressources naturelles par l’Etat congolais et non par des multinationales dont les gouvernements occidentaux protègent les activités prédatrices, la MONUC étant par ailleurs l’épigone armée du colonialisme au Congo.
Dans ces conditions et en présence de la MONUC toujours là en 2010, comme un symbole négatif attestant que rien n’est réglé en RDC, il est à craindre, de voir les Congolais dépossédés de l’affirmation de l’indépendance de leur pays - dont la célébration du cinquantenaire devrait être l’éclatante manifestation - comme ils ont été dépossédés depuis 1960 de la réalité de celle-ci. En avril 2009, le président Kabila déclara, dans une belle interview donnée au New York Times, que « le Congo est un gentil géant », un beaucoup trop gentil géant devrait-on dire.
Alain Bischoff, juriste, consultant indépendant pour l’Afrique centrale.
(Auteur de Congo-Kinshasa, la décennie 1997-2007, Editions du Cygne, Paris, 2008)