Agathe Habyarimana demande à être jugée en France
Paris, 29 juin 2011 (FH) – Convoquée mercredi devant la Cour d'appel de Paris pour répondre à une demande d'extradition du Rwanda, qui souhaite la juger pour génocide, la veuve de l'ancien président rwandais Agathe Habyarimana a assuré vouloir être traduite devant la justice française.
"J'aimerais que vraiment la justice française prenne en main mon dossier et vous pourrez constater par vous-même Mme la présidente, comment je suis victime d'une manipulation et des mensonges du gouvernement [rwandais]", a déclaré Agathe Kanziga-Habyarimana au terme de l'audience à laquelle elle a assisté ce mercredi.
L'ancienne première dame du Rwanda, entourée d'une vingtaine de ses proches, vêtue simplement d'un boubou vert bouteille à motifs, s'est opposée sans surprise à l'extradition demandée en décembre 2009 par son pays d'origine.
Les sept chefs d'accusation portés contre elle ont été longuement exposés par la présidente de la Cour d'appel. Mme Habyarimana aurait notamment, selon le Rwanda, participé à des réunions préparatoires au génocide, promis de donner des uniformes aux milices Interahamwe, appelé les Hutus à éliminer les Tutsis, donné l'ordre à quelqu'un - "je n'ai pas noté le nom car il est trop compliqué", précise la présidente – d'aller chercher la garde présidentielle pour tuer un Tutsi, donné des ordres pour des massacres massifs à Mutura en collaboration avec les milices, aidé à la planification du génocide.
Soulignant qu'il ne s'agit pas d'une demande d'extradition classique, formulée par l'ambassade du Rwanda, "mais d'une transmission d'actes d'accusation par le Quai d'Orsay", le procureur général en fait une description cinglante. La demande d'extradition rwandaise est, selon le représentant du ministère public, "marquée par une certaine approximation, un flou artistique qui entoure la description de faits "qui relèvent "plus de généralités que de faits précis".
"On ne voit pas le fondement légal qui justifie de telles poursuites au Rwanda", ajoute-t-il, en expliquant que la demande rwandaise s'appuie sur une loi promulguée en 2004, soit dix ans après les faits, et que pour ce motif toutes les requêtes d'extradition similaires ont jusqu'ici été déboutées par les tribunaux français. "Avis défavorable !", tranche-t-il.
Pour l'avocat d'Agathe Habyarimana, qui la décrit comme "avant tout une victime, car elle a perdu son mari dans l'avion qui a été abattu dans les jardins de la résidence présidentielle le 6 avril 1994", "lancer de telles accusations, ça n'a effectivement guère de sens. Ma cliente n'a jamais été visée par des poursuites par la justice internationale, et en France il y a une plainte qui a été déposée."
"Je peux comprendre qu'il y ait une exaspération de la part de l'Etat rwandais du fait qu'il ne se passe rien, poursuit Me Philippe Meilhac. Mais il y a en France une jurisprudence qui s'est dégagée, et qui a conduit toutes les cours d'appel à rendre un avis défavorable à l'extradition vers le Rwanda. Parce que, comme le montre encore un rapport récent de Human Rights Watch […], la justice n'y fonctionne pas bien."
Pour la première fois en France dans une procédure d'extradition, le Rwanda était représenté à l'audience par un avocat français, qui précise qu'il demandera à intervenir à l'avenir dans toutes les requêtes similaires. Pour Me Gilles Paruelle, Mme Habyarimana "est l'une des pièces maîtresses du pire génocide du XXe siècle, […] l'éminence grise du pouvoir hutu génocidaire."
"Soupçonnée du crime le plus grave qui soit, elle vit sereinement sans qu'aucune procédure ne vienne troubler sa tranquillité. Elle a déjà passé 17 ans sur le territoire national en situation irrégulière", poursuit l'avocat, qui s'inquiète de l'absence de suites données aux plaintes déposées devant la justice française : "Nous faisons moins bien que nos voisins immédiats, la Belgique, la Suisse, les Pays-Bas qui ont jugé sur leur sol en vertu de la compétence universelle."
"Elle va continuer sa vie tranquille ici en France : le Rwanda ne saurait l'accepter", appuie Me Paruelle. Saisissant l'opportunité que lui donne le Tribunal international pour le Rwanda, il se félicite de la première décision de transfert d'un dossier vers le Rwanda prise mardi à Arusha, en première instance. "Hier, ce qui était impossible est devenu faisable […], car le Rwanda a effectué des réformes judiciaires satisfaisantes", estime-t-il.
La chambre d'appel du Tribunal de grande instance de Paris rendra sa décision dans le dossier Agathe Habyarimana le 28 septembre.
FP/GF
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