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Publié par JMV Ndagijimana

LE MONDE | 07.01.10 | 11h37

La concomitance n'a probablement rien d'une coïncidence. Au moment même où Bernard Kouchner, en déplacement à Kigali, scellait la réconciliation entre la France et le Rwanda, les autorités rwandaises ont discrètement rendu public, jeudi 7 janvier, un rapport officiel démentant radicalement la thèse développée par le juge français Jean-Louis Bruguière. Une thèse qui attribuait à l'actuel président Paul Kagamé la responsabilité de l'attentat contre l'avion de son prédécesseur, considéré comme l'événement déclencheur du génocide des Tutsis en 1994. Cette analyse contenue dans une ordonnance du juge, en novembre 2006, avait provoqué la rupture, par Kigali, des relations diplomatiques avec Paris.

Le document d'un "comité indépendant d'experts" rwandais, révélé par France Inter, jeudi, écarte la responsabilité du pouvoir actuel de Kigali, à dominante tutsie. Il analyse l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion du président hutu Habyarimana, comme une "opération soigneusement murie par des politiciens et officiers extrémistes appartenant à la faction Hutu power [extrémistes]" opposés au partage du pouvoir imposé alors par les accords d'Arusha.

Le rapport, rédigé sous la direction de Jean Mutsinzi, ancien président de la Cour suprême du rwanda, contredit les conclusions du juge Bruguière à propos du lieu d'où auraient été tirés les missiles contre l'avion présidentiel. Il le situe dans la zone de Kanombe contrôlée par les Forces armées rwandaises (FAR) du président Habyarimana.

Le document affirme que les FAR disposaient d'armes lourdes, notamment de missiles "commandés en grande quantité à cinq Etats différents", parmi lesquels la France ne figure pas. En août 2008, Kigali avait publié un autre rapport qui accusait la France d'avoir "participé à l'exécution du génocide" et mettait en cause nommément Edouard Balladur, Alain Juppé et Dominique de Villepin. Aujourd'hui, le rapport Mutsinzi reste très discret sur le rôle de Paris. Entretemps, de nouveaux témoignages ont affaibli l'enquête du juge Bruguière, conduisant son successeur, Marc Trévidic, à la reprendre en grande partie, et permettant la reprise des relations diplomatiques, annoncée le 29 novembre dernier.

Arrivé à Kigali, mercredi, en fin de journée pour une visite de vingt-quatre heures, première étape d'une tournée de cinq jours en Afrique, Bernard Kouchner a été accueilli non pas par son homologue rwandaise, mais par Rose Kabuye, directrice du protocole du président Kagamé.

Dans ce changement protocolaire de dernière minute, qui pouvait être reçu comme un camouflet, la délégation française a préféré déceler, au contraire, une marque d'attention. Proche du président, Rose Kabuye, visée par un mandat d'arrêt du juge Bruguière, avait été interpellée puis remise en liberté, permettant au Rwanda d'entrer dans la procédure française et de passer à l'offensive contre l'enquête Bruguière.

Avec Kigali, l'heure est désormais aux retrouvailles. A la mi-décembre, Paris et Kigali ont désigné leurs ambassadeurs. Bernard Kouchner, qui connaît de longue date le président Kagamé, a œuvré personnellement au rétablissement des relations. La prochaine étape serait une visite du président Nicolas Sarkozy, peut-être à la fin de février.

Au-delà, l'enjeu du rapprochement est moins économique que culturel. Les échanges entre les deux pays sont dérisoires (12 millions d'euros en 2008). En revanche, l'avenir du Rwanda comme pays francophone inquiète Paris. Kigali a rejoint le Commonwealth. Depuis la rentrée scolaire, l'enseignement de l'anglais a remplacé celui du français dans les écoles du primaire. "Dans trente ou quarante ans, on ne parlera plus le français au Rwanda", prédit un diplomate.

Philippe Bernard et Jean-Pierre Tuquoi (à Kigali)

 

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