Kagame et l’attentat du 06 avril 1994. (Emmanuel Neretse)
A Kigali, dans les cercles fermés du mouvement politico-militaire qui dirige le Rwanda depuis 1994, l’attentat du 06 avril 1994 qui a coûté la vie aux présidents du Rwanda et du Burundi respectivement Juvénal Habyarimana et Cyprien Ntaryamira ainsi qu’à plusieurs de leurs proches collaborateurs, est reconnu comme un « haut fait d’armes » et les exécutants de la sale besogne sont considérés comme des « héros » et vénérés comme tels. L’on se souviendra qu’à l’annonce de la mort du président Habyarimana, les cris de joie avaient retentis dans les faubourgs de Kampala à forte concentration tutsi, que les troupes de Kagame à Mulindi avaient tiré en l’air et que le président ougandais Museveni avait publiquement salué, dans des termes cyniques dont il a le secret, la mort de son collègue. La direction du FPR a aussi réagi. Le « Hutu de service » Seth Sendashonga, alors à l’apogée de sa collaboration et avant de tomber en disgrâce et d’être assassiné, qualifia la mort de Habyarimana de « beau débarras ». Paul Kagame dira lui-même ou à travers ses porte-parole qu’à ses yeux, cet attentat était un acte de guerre légitime du moment que l’avion avait à son bord des chefs militaires avec qui il était en guerre! Dans son envolé jubilatoire, il avait oublié que l’avion était un aéronef civil et que « la guerre était fini entre le FPR et le gouvernement rwandais » comme le stipulait l’article 1 de l’accord de paix d’Arusha signé le 03/08/1993.
Pourtant en interne au sein du FPR, l’attentat constitue un acte fondateur et continue à être célébré comme un haut fait d’armes. Les exécutants ont reçu des récompenses, soit en nature, soit sous forme d’avancements non mérités. Sauf évidemment ceux qui n’avaient rien compris du jeu et se sont mis à parler. Ils seront exécutés ou forcés à l’exil (Ruzibiza, Ruyenzi…).
Parallèlement, dans ses prises de position externes, le FPR de Paul Kagame ne revendique pas cet attentat et même s’il s’obstine, contre toute évidence, à nier même quand il est pointé du doigt par des enquêtes sérieuses menées par des spécialistes mondialement reconnus.
Comment expliquer ce paradoxe ? Il nous semble que Paul Kagame est depuis fort longtemps devant un dilemme et semble se trouver entre le marteau et l’enclume. D’un côté, son entourage résolument extrémiste, piaffait - et piaffe encore- d’impatience pour ajouter publiquement et de façon tout à fait officielle aux louanges qu’ils lui adressent le fait d’avoir réussi à tuer « IKINANI» ; de l’autre, le caractère terroriste de l’attentat ne l’encourage pas à le revendiquer même si il l’a bel et bien commis et qu’il continue à en tirer les bénéfices. Plus grave, le fait que l’attentat du 06 avril 94 soit notoirement reconnu comme « élément déclencheur du génocide » ne l’incite pas à le revendiquer. Le régime du FPR , tirant sa légitimité du fait qu’il « aurait » arrêté le génocide, se tirerait une balle dans le pied s’il admettait avoir déclenché ce même génocide. Un autre élément moins médiatisé mais pourtant primordial est le fait que le même attentat a coûté la vie à trois citoyens français. Paul Kagame peut bien se vanter d’avoir tué son ennemi juré Habyarimana (c’est de bonne guerre !). Mais il ne pourrait jamais en dire autant en ce qui concerne les citoyens français sans qu’il ne s’expose en en subir les conséquences judiciaires.
In fine, pour tous les observateurs soucieux de voir la lumière jaillir sur cet ignoble attentat et pour que justice soit rendue, seule la mort des trois citoyens français peut transcender les magouilles politiques et pourquoi pas offrir une porte de sortie à Kagame pour qu’il puisse enfin célébrer ouvertement l’assassinat de Habyarimana. Il suffit qu’il reconnaisse la mort de ces trois français comme « dégâts collatéraux » dans la guerre qui l’opposait à Habyarimana. Osera-t-il franchir le pas ?
Emmanuel Neretse.
Le 17 mars 2009
http://www.musabyimana.be/