République Démocratique du Congo : l’épilogue de la guerre du Kivu
Dimanche 15 février 2009
Alain Bischoff*
Parmi les obstacles qui font du Congo un Etat dont la centralité est toujours chancelante figure la géographie : l’immense espace intérieur du pays très mal relié à lui-même explique la récurrence des poussées sécessionnistes ou irrédentistes des régions riches de l’Est et du Sud, le « Congo utile » livré depuis la colonisation aux multinationales occidentales avides de minerais rares. C’est pourquoi Kinshasa et l’Ouest du pays n’intéressent guère la « communauté internationale » et pourquoi l’unité du Congo lui est en réalité indifférente : seule lui importe l’exploitation à son profit des ressources naturelles de l’Est et du Sud du Congo. S’il faut atomiser le Congo, casser son unité pour sauvegarder leurs intérêts financiers et économiques, l’histoire congolaise depuis l’indépendance de 1960 a montré que les Occidentaux n’hésitent pas. L’épilogue, qui se dessine, de la guerre actuelle du Kivu en est un nouvel exemple.
Sans revenir sur le détail, on rappellera simplement que la guerre dans l’Est du Congo a été relancée en août 2008 par Laurent Nkunda et son CNDP alors que le président Kabila venait de conclure, en novembre 2007, avec la Chine, d’importants contrats miniers et de coopération, au grand dam des Occidentaux et du FMI qui n’ont pas manqué de manifester de sévères manières leur mécontentement à l’égard de la RDC.
Les succès militaires du CNDP sur les Forces armées de la RDC (FARDC), d’août à novembre 2008, et les négociations de Nairobi menées par Olusegun Obasanjo, envoyé spécial de l’ONU – dans l’impasse en raison des revendications fluctuantes et irréalistes de Nkunda – ne permirent pas de mettre un terme à la crise du Kivu dont l’enlisement devenait chaque jour de plus en plus évident. Nkunda, grisé par ses succès militaires, semblait échapper toujours davantage au contrôle de son mentor rwandais, Paul Kagamé. Il fallait réagir.
Depuis la 2ème guerre du Congo (1998-2002) il est évident que la paix au Kivu ne dépend que du Rwanda et que la solution au conflit passe nécessairement par une négociation directe d’Etat à Etat, entre la RDC et le Rwanda, puissance régionale incontournable, allié stratégique privilégié des Etats-Unis dans la région. Encore fallait-il que le Rwanda veuille bien négocier ! L’élément déclencheur du changement d’attitude du Rwanda fut la publication du rapport d’experts de l’ONU le 12 décembre 2008 attestant l’aide multiforme apportée par le Rwanda au CNDP de Nkunda et son implication dans l’exploitation illégale des ressources du Kivu. Aussitôt ce rapport connu, la Suède, les Pays-Bas, la Norvège, suspendirent le versement de leurs contributions au budget du Rwanda ; des voix se sont élevées en Grande-Bretagne pour qu’il soit fait de même. Quand on sait combien le développement économique du Rwanda dépend de l’aide financière internationale, il importait à Kigali d’éviter le tarissement à terme de ces ressources financières, et ce d’autant plus rapidement que l’administration Bush, soutien inconditionnel de Paul Kagamé, était moribonde. Le Rwanda devait rapidement faire montre de bonne volonté dans la recherche de la paix au Kivu, à l’égard d’une « communauté internationale » dont le soutien commençait à fléchir.
Deux initiatives internationales allaient rendre possible le volte-face rwandais. La première, américaine et d’ordre privé, émane d’un consultant indépendant, Herman J. Cohen. Son article (Can Africa trade its way to peace ?) publié dans le New York Times du 15 décembre 2008 veut démontrer que la paix au Kivu ne sera assurée durablement qu’en permettant au Rwanda d’exploiter librement, dans le cadre d’une sorte de « marché commun », les richesses du Kivu dont l’exportation se ferait à partir du Rwanda mais aussi à partir des ports tanzaniens et kenyans, sur l’Océan Indien. (Lire, pour plus de détails, Les dangereuses élucubrations de Herman J. Cohen,). La rencontre, française et officielle, rendue publique par Nicolas Sarkozy le 12 janvier 2009 poursuit à peu près les mêmes objectifs en préconisant un partage, entre le Rwanda et la RDC, de l’espace régionale et des richesses du Kivu. (Lire, pour plus de détails, Le plan de paix français pour le Kivu : la présomption de Nicolas Sarkozy, ( lepotentiel.com).
Dans cette perspective de voir reconnaître son rôle régional prédominant et de voir conférer une légalité internationale à son exploitation des richesses du Kivu, le Rwanda va opérer un spectaculaire retournement d’alliances. C’est ainsi qu’il faut comprendre, d’une part, la brusque mise en œuvre, en janvier 2009, du plan militaire conclu le 5 décembre 2008 entre la RDC et le Rwanda contre les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda) et, d’autre part, la naissance ex-nihilo d’une faction au sein du CNDP dirigée par Bosco Ntabango et opposée à Nkunda. L’entrée des troupes rwandaises au Kivu, à la mi-janvier 2009 – en catimini, seuls le président Kabila et quelques proches collaborateurs étaient au courant du nombre de soldats rwandais entrant en RDC – pour traquer et désarmer les FDLR, s’est pour l’instant traduite essentiellement par le démantèlement des positions du CNDP au Nord-Kivu et par l’arrestation de Laurent Nkunda, en fuite au Rwanda.
Pendant les 6 mois de conflit contre le CNDP, Joseph Kabila a pu constater la solitude internationale de la RDC, l’inefficacité de l’ONU, le désintérêt des Etats-Unis occupés par leurs élections présidentielles, les divisions d’une Union Européenne inopérante (l’ancienne puissance coloniale, la Belgique, trop faible pour peser sur ses partenaires européens, la France, changeante dans sa position et toujours aussi peu fiable), les atermoiements de l’Union Africaine et de la SADC. Pour empêcher l’enlisement du « dossier Kivu », pour éviter que l’on s’installe dans une situation de « guerre sans guerre », que restait-il au président congolais comme solution, sinon celle de collaborer avec son homologue rwandais Paul Kagamé ? Cette collaboration est un signal de bonne volonté adressé à la « communauté internationale » auprès de laquelle Joseph Kabila souffre d’une perte de confiance depuis la signature des contrats miniers et de coopération avec la Chine. C’est aussi le moyen pour Joseph Kabila d’alerter les Chinois sur le respect des obligations « éthiques » dont sont assortis les contrats signés avec eux. Il est plus que temps que les Chinois donnent une réalité à leurs engagements : construction de logements, d’hôpitaux, d’universités, d’infrastructures, etc.
Sous réserve que le CNDP soit définitivement dissous après l’intégration et le « brassage » de ses éléments dans l’armée régulière congolaise, sous réserve aussi que la paix et la sécurité reviennent enfin et durablement au Kivu, en agissant comme il l’a fait Joseph Kabila a sans doute assuré sa réélection en 2011.
Avoir appelé à la rescousse une armée étrangère qui certes l’a débarrassé d’un ennemi personnel (Nkunda, dont l’extradition à Kinshasa a été demandée début février 2009) est dangereux : que va-t-il se passer si l’armée rwandaise ne quitte pas le territoire congolais comme prévu à la fin février 2009 ? Avoir transformé les Rwandais en sauveurs – eux qui ont de telles responsabilités dans les massacres, les exactions, les pillages du Kivu – témoigne également de la faiblesse de l’Etat congolais obligé de reconnaître la suprématie du Rwanda sur la région des Grands Lacs.
Collaborer avec le Rwanda, c’est aussi courir le risque, à court terme, de voir se traduire dans la réalité les « plans de paix Cohen/Sarkozy », c’est-à-dire accepter que les richesses du Kivu soient exploitées légalement par le Rwanda, conforté dans son rôle de puissance régionale hégémonique et qui, finalement, aura réalisé l’un de ses objectifs poursuivis sans relâche depuis 1996 : balkaniser la RDC en intégrant le Kivu dans la zone d’influence rwandaise. Et tout cela, il faut le dire, pour la grande satisfaction des Occidentaux dont les multinationales peuvent continuer à profiter des minerais rares du Kivu sans craindre la concurrence chinoise. Voilà comment se dessinent l’avenir du Congo, qui s’éloigne encore davantage du rêve jacobin et unitaire de Patrice Lumumba, et celui du Kivu, dans l’indifférence du sort et des souhaits de ses populations dont la « communauté internationale » se moque éperdument.||
Alain Bischoff*