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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

"Ce qui fait la valeur de ces minerais (coltan et tantale, ndlr), ce n'est pas le prix du sang versé pour les sortir du pays, mais le prix que l'industrie américaine est prête à payer pour ne pas en manquer". (Crédits : Finbarr O'Reilly)

"Ce qui fait la valeur de ces minerais (coltan et tantale, ndlr), ce n'est pas le prix du sang versé pour les sortir du pays, mais le prix que l'industrie américaine est prête à payer pour ne pas en manquer". (Crédits : Finbarr O'Reilly)

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A qui profite la situation au Rwanda ? La tribune du groupe de réflexions Mars élargit la focale, au-delà de la rivalité sanglante malheureusement bien connue entre les Tutsis et les Hutus, pour rappeler que le Rwanda tire du coltan et tantale l'une de ses principales sources de devises. Deux minerais extraits dans des mines artisanales tenues ou rackettées par de nombreuses milices présentes dans la région des Kivu en République démocratique du Congo, puis acheminés au Rwanda afin d'y être vendus. Des minerais indispensables à la fabrication des smartphones, des ordinateurs et des télés. Par le groupe de réflexions Mars.

On dit dans l'armée que lorsqu'un chef médiocre prend ses nouvelles fonctions, il n'a de cesse de dénoncer ses prédécesseurs comme des incapables et son successeur comme un intrigant. C'est une manière commode, à défaut d'être habile, de camoufler ses propres limites. Il en va parfois de même en politique, ce qui est plus ennuyeux si l'on considère que l'objet même de l'exercice du pouvoir est l'intérêt général. Mais quand cela impacte la continuité de la politique étrangère et de défense de la France, c'est problématique et dénote l'absence de sens de l'État de la part de celui qui s'y livre.

Tel semble être l'un des aspects de la « séquence Rwanda » que nous venons de vivre. Il n'est pas dans les compétences du groupe Mars de valider ou de contredire les conclusions d'une commission d'historiens. Il n'est pas non plus dans ses intentions de prendre la défense des armées ou de l'exécutif (de cohabitation) en place à Paris au moment du génocide de 1994. Il s'agit simplement dans cette tribune de poser des questions que peu de gens se posent, en lien avec les principaux centres d'intérêt du groupe Mars, qui reste un groupe de réflexions dont le principal mode d'action consiste à se poser des questions.

"A qui profite le crime ?"

Une question résume, à notre avis, toute la problématique du génocide rwandais : à qui profite le crime ? De cette question centrale découle une série d'interrogations que le débat actuel, univoque, n'aborde pas.

Déroulons le fil des évènements avec un regard neuf en partant de la situation actuelle dans la région des Grands Lacs où se situe le Rwanda. Nous observons que la partie orientale de la RD Congo est à feu et à sang depuis 25 ans, ce qui a occasionné la mort brutale ou prématurée de plusieurs millions de Congolais, trois à quatre fois plus que le génocide de 1994 (source : rapport Mapping). Comment expliquer que ces massacres n'émeuvent personne ? Est-ce un effet du hasard, une « fatalité africaine » ou la conséquence d'un projet dont le génocide de 1994 faisait partie ? A qui est-ce que cela profite ?

Une simple recherche sur internet conduit à une série d'études, francophones mais non françaises, tendant à montrer que les régimes en place à Kigali et Kampala tirent le plus grand profit économique de la catastrophe humanitaire qu'est devenu l'est congolais. Ainsi, le Rwanda serait devenu le premier exportateur mondial de coltan, un minerai indispensable notamment à l'industrie des télécoms du fait de ses propriétés conductrices. Or c'est dans les Kivu, en RDC, que se situe le minerai le plus pur. Il y est exploité dans des mines artisanales contrôlées par des milices qui défient l'autorité de Kinshasa et exportent le minerai au Rwanda où il est raffiné pour en extraire le tantale, ce qui concourt à rapporter au pouvoir rwandais l'une de ses principales sources de devises.

Trouve-t-on quelque intérêt français dans ce trafic lucratif ? Non évidemment, mais quelques négociants suisses ou allemands, et surtout de nombreuses entités américaines. Car le coltan congolais est essentiel à l'industrie du smartphone (la firme à la pomme), et plus encore à l'industrie d'armement américaine. Les fabricants asiatiques ont accès pour leur part à d'autres sources d'approvisionnement. Voici donc la situation à ce jour ; il est temps à présent de dérouler la pelote en remontant trente années en arrière.

Les sombres desseins du FPR

1990, la guerre froide se termine, la guerre économique commence. Alors que la révolution industrielle de l'informatique et des télécoms prend son essor, apparaît le besoin de sécuriser les approvisionnements en minerais stratégiques pour cette industrie. C'est alors que le capitaine Paul Kagamé quitte précipitamment les Etats-Unis, où il était en formation au titre de la coopération avec l'armée ougandaise, pour prendre le commandement du FPR (front patriotique rwandais), milice Tutsi qui a contribué à installer le président Museveni au pouvoir à Kampala après le renversement du régime criminel d'Idi Amin Dada. Le commandant du FPR, Fred Rwigema, vient en effet de décéder brutalement.

« L'accident bête ». Car le FPR n'a qu'un projet depuis les massacres interethniques de 1962 à la suite desquels des milliers de Rwandais issus de la minorité Tutsi ont trouvé refuge en Ouganda : prendre le pouvoir à Kigali. Dans la mentalité Tutsi en effet, le pouvoir revient de droit quasi-divin à leur ethnie, minoritaire comme toutes les aristocraties. Cette mentalité a d'ailleurs été confirmée par le premier colonisateur, qui considérait les Tutsis comme une « race supérieure » aux autres ethnies africaines. Les incidents de frontière et les incursions en territoire rwandais se multiplient. Le pouvoir rwandais, dominé par l'ethnie majoritaire Hutu, lié à Paris par un accord de coopération (mais non de défense), datant de 1975, demande à la France de l'aider à faire face à l'agression étrangère.

La suite est connue : Paris intervient en renforçant sa coopération militaire avec Kigali (opération Noroît) en prenant soin, autant que possible, de ne pas se trouver en situation d'affrontement direct avec le FPR. En contrepartie, dans la droite ligne du discours de La Baule de juin 1990, Paris exige des concessions politiques et des compromis, dans un premier temps (dès 1992) en direction des Hutus, puis avec le FPR dans le cadre des accords signés à Arusha en Tanzanie en 1993. Le président Mitterrand obtient ainsi du président Habyarimana le partage du pouvoir à Kigali entre représentants de la minorité Tutsi et de la majorité Hutu, elle-même profondément divisée entre nordistes et sudistes.

Rwanda, une colonie allemande puis belge

La haine inter-ethnique au Rwanda et au Burundi a sans doute des racines lointaines, mais son expression au XXe siècle a été exacerbée par la politique du premier colonisateur, dont tout le monde a oublié qu'il s'agissait du Reich de Guillaume II, qui n'a pas hésité à commettre ailleurs en Afrique (actuelle Namibie) au début du XXe siècle des massacres apparentés à un génocide, pour lequel Berlin a ensuite présenté des excuses. Alors que l'essentiel de l'Afrique orientale allemande (future Tanzanie) est rattaché en 1919 à l'empire britannique, sa partie occidentale voisine du Congo belge est placée sous la responsabilité de Bruxelles.

Mais le pouvoir belge poursuit pendant 40 ans au Rwanda et au Burundi la politique ethnique du colonisateur allemand, en s'appuyant sur la minorité Tutsi. A la veille des indépendances, changement de cap : la Belgique fait le pari de l'ethnie majoritaire dans le pays,les Hutus, exacerbant des haines qui se traduisent par des massacres dès l'indépendance en 1962. Alors qu'un pouvoir militaire Tutsi hostile à la majorité Hutu (100.000 morts en 1972, deux fois plus entre 1993 et 2004) s'installe à Bujumbura, ce sont les militaires Hutus qui dominent à Kigali, où le président Habyarimana est un ancien des troupes coloniales belges.

Qui a armé l'attentat contre Habyarimana ?

Revenons à 1990. Ce que révèlent les documents déclassifiés auxquels la commission Duclert a eu accès, c'est la remontée d'informations concordantes de la part des diverses parties prenantes françaises au Rwanda, coopérants et instructeurs militaires, diplomates, expatriés civils et autres services : à Kigali, le partage du pouvoir imposé par Paris ne satisfait personne. Les extrémistes Hutu (nordistes) ne veulent pas partager, le FPR veut un pouvoir sans partage, le président Habyarimana, sous influence, peine à imposer son autorité. L'attentat du 6 avril 1994 dans lequel il trouve la mort, ainsi que le président burundais et l'équipage français, déclenche des massacres prémédités par les extrémistes Hutus contre leurs compatriotes Tutsis et les Hutus (sudistes) modérés. 800 000 Rwandais, essentiellement Tutsis, périssent ainsi dans les semaines qui suivent dans ce qui sera ensuite qualifié de « dernier génocide du XXe siècle ».

Ni les auteurs, ni les commanditaires de l'attentat n'ont été identifiés, ni a fortiori retrouvés. La justice française, saisie par les familles de l'équipage disparu, a d'abord conclu à la responsabilité du FPR, avant de changer d'avis et de conclure à un « non-lieu ». Aucune juridiction indépendante n'a émis de conclusion dans un autre sens. Il est vrai que toute enquête judiciaire indépendante est impossible. Cela reste un mystère judiciaire. Le ou les auteurs, Hutu, Tutsi ou non-Rwandais, n'a pas vraiment d'importance ; ce qui serait intéressant, c'est d'identifier la main qui l'a armé, qui l'a conduit sur le site de lancement du missile et l'en a exfiltré avant de s'en débarrasser. Ce n'est pas un travail d'amateur.

La France n'a aucune racine historique au Rwanda

Il a ensuite fallu près de quatre mois au FPR pour conquérir le pouvoir par les armes, le temps que le génocide soit consommé, et ne plus l'abandonner. Sidérée par un tel déchaînement de violence, la communauté internationale se tait et laisse faire. La mission des Nations Unies (MINUAR), en place depuis plus d'un an, installée après le départ des troupes françaises (condition posée par Paul Kagame lui-même pour prix de son adhésion aux accords d'Arusha), et qui est commandée par un général canadien, se replie après l'assassinat de dix Casques bleus belges. Seul le gouvernement français de cohabitation décide d'intervenir : c'est l'opération Turquoise, opération militaire et humanitaire sous mandat de l'ONU. On connaît la suite.

Qui peut croire un seul instant que l'exécutif français, partagé entre les deux principales composantes politiques du pays, ait décidé en secret d'intervenir en soutien des génocidaires, alors même que la France n'a au Rwanda aucune racine historique ni intérêt d'ordre stratégique ou économique ? La France a-t-elle d'ailleurs, n'importe où ailleurs dans le monde, commis un génocide ? Que cela plaise ou non de le rappeler, le peuple français, contrairement à d'autres peuples amis, n'a pas historiquement de génocide sur sa conscience nationale. L'une des raisons à cela est que la nation française ne repose sur aucun fondement ethno-linguistique, elle est ouverte à tous, pourvu que chacun en respecte les lois et les valeurs et lui apporte la richesse de ses origines.

Pourquoi un tel silence de plusieurs puissances ?

D'autres puissances en revanche ne sont pas aussi désintéressées. Simple question : si elles ont laissé faire, n'est-ce pas qu'elles y auraient eu intérêt ? Soyons clairs : il n'est pas question d'imputer le génocide à d'autres qu'aux extrémistes Hutus. Mais certains silences sont certainement plus complices que l'opération Turquoise qui, elle, a au moins permis de sauver des vies.

Peu après l'installation à Kigali de la dictature du FPR, intouchable en dépit de sa nature intrinsèquement anti-démocratique mais protégée par son statut de protecteur des victimes du génocide, les provinces orientales du Zaïre voient naître une rébellion qui renversera à Kinshasa le pouvoir du maréchal-président Mobutu. S'installe ainsi le « système Kabila », d'abord proche du Rwanda avec Laurent-Désiré, puis plus « nationaliste » avec Joseph qui succède à son père assassiné en 2001 en pleine « guerre mondiale africaine », d'où l'apparition de milices rebelles armées par les pays voisins afin de piller les richesses minières des provinces orientales de la RDC à leur profit. Ce qui fait la valeur de ces minerais, ce n'est pas le prix du sang versé pour les sortir du pays, mais le prix que l'industrie américaine est prête à payer pour ne pas en manquer.

On attend les travaux d'historiens dans les archives de tous les pays de transit et de destination de ces minerais. On attend aussi des Etats-Unis autre chose que des rapports de cabinets stipendiés pour entretenir la fiction d'une responsabilité française. La France est un bouc émissaire pratique pour les vrais manipulateurs du génocide, ceux qui en profitent encore aujourd'hui. On attend des bonnes âmes occidentales un peu de recul, sinon de décence. On attend surtout de l'exécutif français un peu de dignité et de sens de l'État, afin de ne pas sacrifier l'honneur de la France à de basse manœuvres diplomatiques. On attend enfin du discernement face à une stratégie de désinformation dont l'objectif a été exprimé en ces termes par le futur président Clinton en 1992 : « it's the economy, stupid ! »

France : "Une faute d'avoir fait confiance à l'ONU" ?

Il n'y a donc pas lieu de s'excuser d'avoir été les seuls à avoir limité l'ampleur du génocide. Le rapport Duclert le reconnait d'ailleurs et c'est bien le moins : la France n'est pas coupable de crime de génocide, elle n'en est pas non plus responsable. Comme le dit Hubert Védrine, la seule erreur de la France, c'est d'avoir été contrainte de retirer ses troupes en 1993, relevées par la MINUAR après les accords d'Arusha. Est-ce une faute que d'avoir fait confiance à l'ONU ? Faut-il s'excuser de jouer le jeu du multilatéralisme ? Avec le recul, l'historien peut aujourd'hui critiquer cette naïveté.

Mais l'éthique de responsabilité imposait aux gouvernants de l'époque d'agir au mieux. Ils l'ont fait, d'autant qu'en même temps des soldats français servaient sous casque bleu en Krajina afin d'empêcher des massacres entre Serbes et Croates. A charge pour l'historien de demander au Conseil de sécurité des Nations-Unies d'ouvrir ses archives afin de comprendre qui et pourquoi a entravé toute initiative permettant de faire cesser le génocide au Rwanda, alors même que l'ONU avait su intervenir avec plus d'efficacité au Cambodge, par exemple, à la suite d'un autre génocide.

Et maintenant Total au Mozambique

Interrogeons-nous à présent sur la temporalité de cette séquence médiatique. A qui profite-t-elle ? A quelques politiciens français en mal de notoriété et quelques médias à la recherche de lecteurs payants ? Au régime de Kigali, qui subit la baisse du cours (pour cause de Covid) des minerais qu'il exporte et recherche une nouvelle rente à exploiter ? Certes, mais pas seulement.

En élargissant encore la focale en Afrique orientale, nous découvrons avec stupeur la situation au nord du Mozambique, où la province autrefois paisible du Cabo Delgado est ravagée par le djihadisme depuis que Total a entrepris d'exploiter de prometteurs gisements off-shore. Il s'agit là encore d'un pays qui n'a jamais été colonisé par la France mais où l'armée française, en tant que puissance riveraine du canal du Mozambique, pourrait intervenir pour prêter main forte au gouvernement de Maputo, manifestement débordé. Mais les conséquences de « Turquoise » font hésiter.

Tant pis pour Total... D'autres sociétés sont sans doute prêtes à racheter ses droits pour pas cher. Certaines puissances gazières (exportatrices de GNL par exemple) pourraient également trouver un intérêt à ce que l'exploitation du gaz du Mozambique ne vienne pas les concurrencer. La manipulation de l'information (et des archives) est l'un des modes d'action de la guerre économique.

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(*) Le groupe Mars, constitué d'une trentaine de personnalités françaises issues d'horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l'industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

 

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