Brève historique de “Kamarampaka” : Le referendum qui le 25 septembre 1961 abolit la monarchie et instaura la république au Rwanda.
Brève historique de Kamarampaka
« Plus on connaitra l’Histoire, plus le ressentiment s’effacera » (Marc Ferro)
- Rudahigwa dans la tourmente
Tandis que, depuis trois ans au moins, il entretenait des rapports exécrables avec l’autorité coloniale belge et la mission catholique, les deux institutions qui l’avaient créé en 1931, le roi Charles Léon Pierre Mutara III Rudahigwa meurt inopinément le 25 juillet 1959 à Bujumbura (Burundi) entre les mains de son médecin soignant, le Dr. Julien Vyncke, de nationalité belge. La reine mère ayant rejeté la proposition d’une autopsie, les rumeurs allèrent bon train sur les causes de cette mort subite. L’hypothèse avancée par les médecins fut celle d’un accident cérébral majeur due à une incompatibilité entre la double cure que subissait le roi contre la stérilité et pour la désintoxication d’une part, et l’alcool qu’il continuait à consommer en quantité excessive d’autre part. Les milieux de la cour propagèrent des suspicions selon lesquelles le roi aurait été empoisonné par son médecin soignant, le commanditaire du crime étant « l’autorité coloniale belge » avec la complicité ou l’accord tacite de Monseigneur André Perraudin, vicaire apostolique de Kabgayi. Les fins connaisseurs du code ésotérique (Ubwiru) régissant la monarchie au Rwanda et de toutes les croyances, pratiques et rites qu’il prescrit crurent y déceler un suicide rituel.
Pourquoi un suicide ? Parce que selon la coutume, l’intérêt supérieur de la dynastie prévoyait que : « Iyo Mutara atakibasha gufora umuheto, aratanga ». Ce qui signifie : « Quand un roi portant le nom dynastique de Mutara ne parvient plus à tendre l’arc (à tirer à l’arc), il doit céder ». Or, pour la bonne raison que « Nta bami babiri mu gihugu kimwe – Il ne peut y avoir deux rois dans un même pays -», le souverain ne pouvait céder ni par l’abdication, ni par la retraite, mais seulement par la mort. Tant et si bien que l’expression rwandaise « umwami yatanze (le roi a cédé) » signifie : « Le roi est mort ».
Au soir de sa vie, Mutara III Rudahigwa (16.11.1931 – 25.7.1959) était en train de perdre sur quatre fronts. Le premier champ de bataille était la fronde hutu. Il ne parvenait pas à la freiner. Le second front où il perdait était constitué par la présence au Rwanda de ses ex fidèles alliés : les autorités coloniales. Il ne parvenait pas à obtenir une indépendance précipitée qui lui aurait permis de réprimer dans le sang la fronde hutu, et ainsi réduire en esclavage le reste de la population hutu. En troisième lieu, il perdait dans la guerre impie et inutile qu’il menait contre l’Eglise catholique et notamment la haine qu’il avait jurée à Mgr André Perraudin, vicaire apostolique de Kabgayi du 18 décembre 1955 au 7 octobre 1989 [1]. Déjà en 1952, bien avant l’avènement de Mgr Perraudin, Rudahigwa aurait voulu que le premier vicariat indigène ait son siège à Nyanza, et non à Nyundo. Vue la proximité entre Nyanza et Kabgayi, cette collocation aurait signifié pour Kabgayi la perte de ses droits de premier-né et l’émergence d’une « Eglise nationale » sous les ordres de la dynastie nyiginya.
Enfin, le roi Rudahigwa ne parvenait pas à s’imposer aux faucons de son propre entourage. Les fils de ses proches collaborateurs osaient même mettre en doute ses capacités techniques et intellectuelles du moment, disaient-ils, « qu’il n’a pas un diplôme d’études secondaires ». Comme si cela ne suffisait pas, le malheur avait voulu qu’il fût stérile. Il n’y avait plus d’espoir qu’il puisse, un jour, donner un héritier au royaume, assurant ainsi la pérennité de la dynastie. Est-ce pour tous ces motifs qu’il avait commencé à consommer trop d’alcool et à fréquenter des individus peu recommandables ? [2] C’est le cas de le dire, en 1959, Rudahigwa ne parvenait plus à « gufora umuheto ». Pour les gardiens de la pureté des traditions, le moment était venu pour lui de s’en aller [3].
Pourquoi un suicide rituel ? « Du moment qu’il devait “gutanga”, c’était évidemment mieux qu’il le fît en « umucengeri (libérateur) ». Au moins, sa mort aurait servi à quelque chose. Le libérateur-Umucengeri était une arme humaine très redoutée au Rwanda et au Burundi. Il s’agissait d’un membre de la famille royale désigné pour aller verser son sang en territoire ennemi. Plus la provenance nobiliaire du héros malgré soi était haute, plus les effets de son immolation, croyait-on, auraient été dévastateurs. Ce sacrifice était censé causer à l’ennemi tous les malheurs possibles et imaginables : défaite, capture, mise à mort, mutilation et enfin, conquête et soumission de son pays. Dans le cas qui nous occupe, il s’agissait du roi en personne qui, comme Ruganzu I Bwimba naguère au Gisaka, allait mourir à Bujumbura, siège et symbole d’une domination étrangère sur le Rwanda et le Burundi. Qui plus est, il allait expirer entrer les mains d’un Belge. Il importe peu que ce dernier soit un simple médecin. La mort du roi devait produire sur lui et sur sa Belgique les mêmes effets qu’un tir à bout portant avec gros calibre sur un adversaire bien choisi.
- Les faucons se déchaînent