"L'Opération Turquoise fut un succès indéniable" (Capitaine Guillaume Ancel, 15 septembre 1994)
"Les premiers sentiments sont toujours les plus naturels" (Louis XIV)
FORCE D'ACTION RAPIDE LA VALBONNE, le 15 sept 1994
6è DIVISION LÉGÈRE BLINDÉE N° /6°DLB/68°RA/BOI
68è RÉGIMENT D'ARTILLERIE MS 68/OPS
01365 LA VALBONNE CEDEX
RAPPORT du Capitaine ANCEL, contrôleur avancé
OBJET : PARTICIPATION À L’OPÉRATION TURQUOISE AU RWANDA
J'ai l'honneur de vous rapporter ma participation à l'opération TURQUOISE au RWANDA DE JUIN à AOÛT 94 ;
L'opération s'est déroulée en deux phases distinctes avec des objectifs sensiblement différents.
L'engagement initial dans l'ouest du RWANDA cherchait à geler la situation militaire, en freinant le FRP. Pendant cette première phase, je servais comme contrôle avancé d'une Compagnie d'infanterie motorisée du 2° Régiment Étranger d'Infanterie.
Après l'effondrement des FAR (forces gouvernementales), l'opération TURQUOISE A principalement visé à protéger une zone humanitaire sure (ZHS), où j'ai été chargé des évacuations spéciales pour le groupement tactique sud.
1°PHASE/ ENGAGEMENT AU RWANDA ET FREINAGE DU FPR
Le 22 juin 1994, j'ai rejoint à NIMES la 1° Compagnie du 2°REI commandée par le CNE NICOL. Notre unité s'est rendue sans délai dans la zone d’opération. Malheureusement la désorganisation de la logistique et une certaine hésitation sur notre entrée au RWANDA nous ont fait attendre jusqu’au 30 juin notre déploiement en précurseur dans la zone sud centrée sur CYANGUGU.
Nous avons alors constitué le groupement tactique sud aux ordres du LCL HOGARD, qui comprenait de plus une Compagnie de la 13° DBLE et un CRAP du 2°REP.
Après quelques accrochages avec des patrouilles du COS, il apparut que le FOR de déplaçait rapidement sur nous. En première ligne aux débouchés est de la forêt de NYUNGWE, notre Compagnie se préparait à un affrontement direct avec le FOR, qui a été évité de justesse par la conclusion d'un accord de «statu quo » au niveau politique.
Contrôleur avancé de la Compagnie, je préparais alors des frappes aériennes qui constituaient le sut appui-feu disponible. La Compagnie ne disposait en effet que de tubes de 81 m/m dont les munitions n'étaient pas arrivées.
L'Armée de l'Air, après quelques hésitations avait mis en place une nouvelle procédure de guidage. Outre sa décision tardive, ce changement a perturbée notre « savoir-faire », basé sur une pratique intensive de la procédure OTAN normalisée. A l'usage, cette modification apporta plus de souplesse et parut adaptée à notre opération en simplifiant les procédures d'authentification, et nous permettant d'utiliser aussi bien les attaques à très basse altitude classiques que celles dites de moyenne altitude, en cours en YOUGOSLAVIE.
Des Mirages F1 CT et CR devaient assurer cet appui-feu, éventuellement renforcés par des PUMA canon de 20 m/m. L'Armée de l'Air organisa, un peu tard, un exercice / démonstration sur le lac KIVU à la frontière du ZAIRE. Sur les 20 passages prévus, 3 seulement se réalisèrent, 1 seule patrouille trouva sa cible….
Il semble que les pilotes de ces avions modernes connaissant mal l'environnement propre à leur mission et plus mal encore la procédure de guidage mise en place pour cette opération, provoquant un certain désarroi chez les OCA.
Pendant cette phase critique des hostilités, il apparut aussi que la capacité opérationnelle du contrôleur avancé était fortement réduit par l’absence du Groupe de Reconnaissance d'Appui-feu, normalement constitué au 68 d'une équipe d'observation dans les profondeur (EOP). En effet,
* la recherche et l’identification des cibles nécessitent toute la compétence de cette équipe spécialement entraînée à cet effet
* La localisation des objectifs requiert une précision d'artilleur alors que l’utilisation exclusive par les aéronefs de navigateur par satellites demande de fournir des coordonnées en latitude/longitude d'une précision décamétrique. L'absence de cartes les premières semaines n'améliorait pas le problème.
* Le cloisonnement du terrain permettait rarement d'utiliser les positions de la Compagnie pour observer et guider les frappes. Le Groupe de Reconnaissance d »Appui-Feu présente l'avantage d’être autonome en matériels et en personnels, et évite d'obérer les moyens de l'unité appuyée.
Ma demande de renforcement par cette équipe a obtenu le plein accord de l’État-Major Tactique, et n'a été empêchée que par le gel des renforts dû à la réorientation de la mission .
En effet, contrairement à leur attente, nous n'avons jamais été engagés directement au profil des FAR et celles-ci se sont brutalement effondrées lorsqu'elles comprirent que nous ne refoulerions pas le FOR.
Soldats et miliciens en déroute, la population se prit de panique et survint un exode massif et meurtrier, en particulier vers GOMA. Si nous craignons encore un geste désespéré des FAR, il apparaissait que la situation militaire était alors stable avec l'arrêt du FOR au limites de notre zone.
2°PHASE / CRÉATION DE LA ZONE HUMANITAIRE SURE (ZHS)
L'option offensive semblant abandonnée, notre mission devint alors de protéger une zone humanitaire sûre (ZHS). Pour le groupement sud, qui représentait le tiers de la ZHS, le site sensible était le camp de réfugiés de NYARUSHISHI . Ce site, géré par la Croix-Rouge Internationale, regroupait l'essentiel des rescapés tutsis de la région (environ 10.000 sur une population initiale supérieur à 50.000). NYARUSHISHI fut placé sous la protection de la Compagnie du 2°REI qui y consacra en permanence une Section, le reste participant avec la 13°DBLE et le CRAP du 2°REP au contrôle de la zone. La protection du camp de NYARUSHISHI représentait parfaitement notre mission d'arrêt des massacres et a fait l'objet de nombreuses provocations, de Hutus comme de Tutsis, qui se sont toutes écrasées sur la rigueur de l'expérience de la Compagnie du 2° REI. Malgré sa neutralité légendaire, même la Croix-Rouge est venue rendre hommage à l’efficacité des légionnaires de CNE NICOL.
Une frappe aérienne étant désormais peu probable, je rejoignis à la demande du LCL HOGARD le PC de l'EMT sud installé très simplement sur « l'aéroport » de CYANGUGU. Adjoint de l'Officier RENS, je pris en charge les évacuations spéciales de notre zone, celles des personnes très menacées ou recherchées par des ressortissants étrangers.
Le cas le plus difficile fut celui de la famille d'une journaliste suisse Maggy CORREA, d'origine rwando-portugaise. Elle espérait retrouver la trace de 4 membres de la famille tutsie qui avaient survécu miraculeusement aux massacres d’avril. Réfugiés dans une forêt d'eucalyptus, elle était constamment menacée par des miliciens connus pour leur extrémisme.
Après avoir collecté et vérifié les informations nécessaires à leur sauvetage grâce aux contacts établis par les Compagnie, nous avons pu déclencher un raid avec un groupe de la 13°DBLE pour atteindre par surprise leur dernier refuge connu. Malheureusement leurs »hôtes » effrayés par les menaces des miliciens, venaient de les renvoyer de leur ferme.
Devant notre détermination, ils nous ont finalement conduit jusqu’à leurs refuge un trou misérable creusa à même la colline. Nous avons pu récupérer les 4 personnes sauves devançant la milice de quelques minutes seulement. Puis, grâce au soutien sans faille des 2 Compagnies de légion, nous les avons évacués jusqu'au ZAIRE, en leur faisant traverser la frontière sans difficulté dans un camion d'explosifs.
Maggy CORREA était très connue en SUISSE pour la virulence de ses propos contre la FRANCE au RWANDA. Après cette opération de sauvetage, elle a eu le bon goût de louer les mérites de l'opération TURQUOISE. Sans laquelle elle n'aurait jamais revu sa famille. Une organisation britannique lui avant certes proposa de prendre en charge cette mission de sauvetage pour 250.000US $, somme que nous aurions sans doute refusée, vue la faiblesse de cette devise.
L’évacuation la plus extravagante fut celle de la famille du Professeur SAMUEL, biologiste rwandais recherché par le CNRS, et dont nous savions seulement qu'il avait traversé la forêt de NYUGWE. C'est en retrouvant d'anciens gardiens de leur ONF que nous avons pu remonter trace jusqu'au ZAIRE et le retrouver finalement grâce à une annonce diffusée sur la radio de BUKAVU, après une semaine de recherche.
En 4 semaines, nous avons pu retrouver et évacuer ainsi une centaine de personnes vers l'étranger via le ZAIRE. C'est une goutte d'eau en comparaison des massacres perpétrés, mais que nous a valu de nombreux témoignages de reconnaissance.
En guise de conclusion, je souhaiterais aborder trois sujets qui ont retenu mon attention pendant cette mission.
MODIFICATION DU CONTRÔLE AVANCE
L'actuel Officier de Contrôle Avancé est mal adapté aux exigences opérationnelles :
* La composition de son groupe devrait inclure ne Équipe d'Observation dans la Profondeur d'Artillerie pour lui donner plus d'autonomie et d'efficacité.
*Son entraînement devrait comprendre l'appui hélico, canon ou missile, pour mieux coordonner ces armes efficaces, ainsi que la localisation des objectifs et des connaissances d'Artillerie Sol-Ait pour l'évaluation de la menace sur les aéronefs.
*Son équipement devrait se compléter de télémètre laser, de jumelles d'observation puissantes avec compas intégré et de navigateur par satellites. Enfin, des brelages multi usages permettraient de conserver sur l'homme l'essentiel des équipements opérationnels.
SOUTIENS DES ONG ET DES MEDIAS
Les médias, très virulents initialement contre TURQUOISE, se sont rapidement inclinés devant les résultats de l'opération. Le soutien matériel que nous leur avons apporté, ainsi qu'une certaine franchise nous ont permis d'éviter des critiques malvenues. L'absence du SIRPA dans notre zone leur a permis de croire à une grande transparence, et de faite la différence entre les militaires qui accomplissent la mission TURQUOISE et les hommes qui décident de la politique de la FRANCE.
Notre soutien aux ONG a été souvent décevant, la plupart d'entre elles poursuivaient des objectifs confus. Ainsi à notre arrivée aucune ONG n'opérait dans la zone sud à l'exception notable de la Croix-Rouge Internationale qui ne simule pas le bénévolat, mais nous a impressionnés par son professionnalisme et son efficacité. Avec notre déploiement, SOLIDARITE et EQUILIBRE ont pu œuvrer avec rapidité. La plupart des autres ONG, dont MSF, et les émanations de l'ONU (Haute Commissariat aux Réfugiés, UNICEF) étaient invisibles sur le terrain, mais toujours contactables dans leurs luxueux hôtels à BUKAVU ou aux conférences de presse.
Quelle que soit l'importance des moyens qui lui sont accordés, je pense, à l'expérience du CAMBODGE, comme du RWANDA, que l'ONU est incapable de les utiliser faute de détermination.
SUCCÈS DE L’OPÉRATION TURQUOISE
Si l'objectif était bien d'arrêter les massacres alors cette opération fut un succès indéniable. J'ai pu observer que :
*300 hommes, certes des légionnaires, ont réussi là où 1500 casques bleus ont lamentablement échoué
*La Légion Étrangère a un prestige tel qu'aucun Rwandais ne s'est risqué pendant cette mission à la prendre à partie
Pour cette mission délicate de rétablissement de la paix, la rigueur et la discipline de la Légion Étrangère ont été prépondérantes, leur détermination a été la clef de leur succès.
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