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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Melchior Ndadaye, premier président burundais démocratiquement élu puis assassiné par l'armée le 21 octobre 1993.

Melchior Ndadaye, premier président burundais démocratiquement élu puis assassiné par l'armée le 21 octobre 1993.

MELCHIOR NDADAYE OU POURQUOI J'AI ECRIT "BUJUMBURA MON AMOUR" (Jean-Marie Ndagijimana)

https://www.amazon.com/BUJUMBURA-AMOUR-French-JEAN-MARIE-NDAGIJIMANA-ebook/dp/B01IIRI8FK/ref=sr_1_7?ie=UTF8&qid=1547236329&sr=8-7&keywords=ndagijimana+jean+marie

A l’époque des faits, j’avais 21 ans. Trois décennies plus tard, mes plaies peuvent-elles enfin se cicatriser ? Chaque fois que je rencontre un citoyen burundais, que je croise son regard, des images terribles se bousculent dans ma tête. Les yeux exorbités de peur de tel étudiant hutu conduit à l’abattoir comme un mouton, le sourire narquois de ce jeune militaire tutsi gonflé d’orgueil, de haine et de plaisir sadique après avoir transpercé de baïonnette les côtes brisées de sa jeune victime incrédule de naïveté. Je revois le regard haineux de ce condisciple qui ne daigna plus m’adresser la parole alors que la veille encore je comptais parmi ses meilleurs amis ! Il aura suffi, pour en arriver là, d’un communiqué diffusé par le gouvernement sur les ondes de Radio Burundi et de quelques rumeurs perfides savamment distillées par les services de renseignements du pouvoir. C’était le 29 avril 1972.

L’auteur, Jean-Marie Vianney NDAGIJIMANA, est juriste de formation. Il a fait ses études dans les universités de Bujumbura et de Kinshasa. Diplomate de carrière, il a servi à Bruxelles, Addis-Abeba et Paris. Observateur privilégié des conflits ethniques et politiques de son pays d’origine, le Rwanda, et de toute la région des Grands Lacs, il milite aujourd’hui au sein de plusieurs associations favorables à une réconciliation nationale et régionale basée sur une justice impartiale et le dialogue.

Extraits de Bujumbura mon amour,

DEDICACE (p.3)

"A César Gandhi et à tous mes camarades assassinés par l’armée burundaise sur le campus universitaire de Bujumbura entre fin avril et juin 1972. A travers eux, je salue la mémoire de toutes les victimes civiles de cette barbarie.

A Melchior Ndadaye et aux autres survivants du génocide de 1972 qui, 21 ans plus tard, tombèrent sous les balles de cette même armée.

Le sacrifice consenti par ces héros est un mur contre lequel viendra désormais se fracasser le mensonge d’état consistant à transformer les victimes en bourreaux.

Ukuli guca mu ziko ntigushye. La vérité passe par le feu mais ne se consume jamais."

UNE GOUTTE DE TROP (p.15)
Bujumbura mon amour, Éditions la Pagaie (réédition 2015)

"A Maurice, nous discutons surtout du Rwanda bien sûr, mais la récente élection du Hutu Melchior Ndadaye à la présidence de ce pays dominé par les Tutsi pendant plus de cinq siècles est présente dans tous les esprits. Et c’est à ce sujet que Joseph se révèle sous son véritable visage : il prend systématiquement fait et cause pour les partis tutsi battus lors des premières élections démocratiques organisées dans ce pays voisin en juin 1993. A travers ses développements, je sens que la démocratie basée sur le principe de « un homme une voix » n’a pas les faveurs de l’homme de lettres. Ce système électoral aurait pour effet, selon le futur ministre du FPR, de consacrer la domination de la majorité Hutu sur la majorité Tutsi au détriment des idées. J’ai beau lui expliquer que son appréhension n’est pas justifiée, que les Hutu ont, - eux aussi (!) -, des idées, rien n’y fait. Je lui explique que malgré la très large majorité dont disposait le parti Frodebu du président Hutu Melchior Ndadaye, celui-ci avait préféré mettre en place un gouvernement d’unité nationale au sein duquel Hutu et Tutsi se retrouvaient ensemble. Joseph ne veut rien entendre. Pour lui comme pour la plupart des Tutsi du Rwanda et du Burundi, Melchior Ndadaye n’est ni plus ni moins qu’un président ethnique. Pour Joseph, la notion de démocratie ne peut s’appliquer au cas du Burundi. Cette position négative des Tutsi du Rwanda sur la question burundaise explique a contrario et a posteriori la montée de la méfiance légitime que suscita auprès des Hutu l’assassinat du président Melchior Ndadaye.

A Maurice, le jeune président burundais participe pour la première fois au sommet de la Francophonie de Port Louis. Lors de l’ouverture officielle du sommet, le cadet des chefs d’état présents reçoit l’insigne honneur de répondre au président Mitterrand et au premier ministre du pays hôte au nom de ses homologues qui lui font un standing ovation. J’en pleure d’émotion, tant l’histoire du Burundi me colle à la peau depuis mon séjour mouvementé dans ce pays en 1972. La victoire de Ndadaye, ancien réfugié au Rwanda de 1972 à 1983, c’était aussi ma victoire, une sorte de revanche sur l’injustice historique subie par les Hutu du Burundi. En 1972, le jeune collégien Melchior Ndadaye avait échappé par miracle au génocide des Hutu avant de trouver asile au Rwanda. Il retourna dans son pays natal en septembre 1983, dix ans jour pour jour avant son assassinat. A Port Louis, le premier chef d’état burundais démocratiquement élu avait eu un long entretien avec son homologue rwandais le général Habyarimana. La délégation rwandaise n’avait d’yeux que pour son héros Ndadaye. Habyarimana passant presque au second plan. A la fin du sommet des chefs d’état, je fus de ceux qui eurent le privilège de saluer pour la dernière fois le président Ndadaye à l’aéroport de Port Louis, avant qu’il s’envole pour son dernier voyage, après avoir représenté dignement son pays dans le concert des nations francophones. Il ne se doutait pas le moins du monde que les ennemis de la paix l’attendaient de pied ferme. Pour lui ôter la vie. Comme vingt et un an plus tôt. En 1972, le jeune collégien avait échappé par miracle à ses bourreaux. En 1993, ils ne lui laissèrent aucune chance.

Après le départ des présidents rwandais et burundais de Saint-Louis, je fis un crochet à Harare pour répondre à l’invitation d’un ami zimbabwéen. Le matin du 22 octobre, je dors encore lorsque le téléphone sonne. Mes hôtes viennent me réveiller en catastrophe. Au bout du fil, mon épouse égosillée par la douleur. J’ai du mal à reconnaître sa voix pourtant si familière.

- Vi, as-tu écouté la radio ? Commence-t-elle.

- Pourquoi ?

- Ndadaye est mort, répond-t-elle sobrement.

- Non, ce n’est pas possible. Hier encore, je l’ai vu à l’aéroport de Port Louis !

- Justement, il a été assassiné à Bujumbura après son retour de l’Ile Maurice.

Un lourd silence, puis je m’entends crier : « Les salauds ! Les salauds ! Ils l’ont tué. Encore ! » Comme le Prince Rwagasore en 1961, comme le premier ministre Ngendandumwe en 1965, et comme le roi Ntare V en 1972, un chef d’état de surcroît démocratiquement élu vient de tomber sous les balles d’assassins agissant en totale impunité. Le Burundi vient ainsi de reprendre le flambeau des pays où les questions de pouvoir se règlent toujours dans le sang, par l’assassinat politique. Oui, il y a bien, quelque part, un groupe d’assassins tapis dans l’ombre, au sein de l’armée, du parti politique au pouvoir, l’UPRONA. Ces assassins se considèrent comme investis d’une mission divine, avec un droit divin corollaire allant jusqu’à tuer qui et quand ils veulent. Mais Melchior Ndadaye n’est pas qu’un corps ! Et ça, les officiers qui viennent de lui prendre la vie ne l’ont pas compris. Ils croient avoir tué dans l’œuf les aspirations démocratiques populaires exprimées à travers les élections de juin 1993. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’ils viennent au contraire de libérer le Peuple de la peur accumulée durant des siècles. Mieux, Ndadaye symbolise, à lui tout seul, les espoirs des jeunes peuples d’Afrique. Et les militaires l’ont tué. Comme tous les démocrates, je pleure à chaudes larmes. Jamais je n’ai pleuré autant de ma vie ! Pas même à la mort de mon père trois ans auparavant, en janvier 1990 ! La violence de la nouvelle et les espoirs déçus me plongent dans un désarroi indescriptible. Melchior Ndadaye était pour moi l’exemple même de la possible, nécessaire et indispensable réconciliation entre les Hutu et les Tutsi, au Rwanda comme au Burundi. J’ose aujourd’hui espérer que sa mémoire guidera les nouveaux dirigeants dont vient de se doter le Peuple burundais à l’issue des premières élections démocratiques de l’après Ndadaye.

Pour des hommes de courage et de paix comme Melchior Ndadaye, je témoigne.

Pour les centaines de milliers de Burundais morts durant la guerre de libération nationale, dans les maquis et sur les mille collines du Burundi pour la défense de la dignité humaine et pour l’égalité des citoyens, je témoigne. Sans passion, sans peur ni haine ! Contre le règne du mensonge politique. Pour la Justice et la Vérité."

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