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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Lettre du Colonel Luc Marchal à Monsieur Hervé Féron, député socialiste français et maire de Tomblaine, suite à sa récente visite au Rwanda

Ci-après, vous trouverez copie de la lettre que le Colonel Luc Marchal vient d’envoyer à Monsieur Hervé Féron, député socialiste français et maire de Tomblaine, suite à sa récente visite au Rwanda dans le cadre de la commémoration du génocide de 1994.

Monsieur le Député-Maire,

Dans le contexte de la commémoration annuelle du génocide de 1994, vous avez récemment effectué une visite au Rwanda. Soyons clair, par votre présence vous avez cautionné le système de pensée unique que le pouvoir en place à Kigali tente, depuis 1994, d’imposer à la communauté internationale et à sa propre population, en excluant du devoir de mémoire collectif les innombrables victimes n’appartenant pas à la communauté des Tutsis.

C’est, précisément, pour avoir rappelé cette réalité que Madame Victoire Ingabire Umuhoza, candidate à l’élection présidentielle en 2010, a été condamnée à 15 ans de réclusion et ce, à l’issue d’une parodie de justice, ce que n’a pas manqué de dénoncer la Fondation Jean Jaurès.

Je tiens à préciser, sans la moindre ambiguïté, que je considère le génocide des Tutsis comme un fait incontestable. Cette matérialité ne peut, toutefois, servir d’épouvantail et occulter les massacres à grande échelle perpétrés par le Front patriotique rwandais, au Rwanda et dans le Congo voisin, à l’égard des Hutus et des Congolais.

Je prends l’initiative de vous exprimer mon sentiment parce que si certains ont pu être abusés en toute bonne foi au début, quant à la nature exacte du régime de Paul Kagame, par contre, ensuite et depuis de nombreuses années, les preuves objectives se sont à ce point accumulées que toute compromission avec ce régime liberticide et mortifère ne peut être considérée que comme un appui, si pas un encouragement, à ses multiples dérives totalitaires.

Je citerai comme éléments objectifs : les rapports Hourigan, Gersony, Garreton, Pillay, ceux relatifs au pillage des richesses de la République démocratique du Congo. Cette liste est malheureusement loin d’être exhaustive. Je suis convaincu que vous en connaissez la teneur.

Tout comme vous n’ignorez sans doute pas les diverses résolutions prises par le Parlement européens au sujet du Rwanda. Notamment celle du 23 mai 2013, prise en session plénière à Strasbourg. Celle-ci était présentée par cinq groupes parlementaires européens dont deux groupes de gauche : les Socialistes et démocrates au PE et la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique.

Tout lecteur du texte de la résolution notera que son contenu et les termes utilisés sont sans la moindre ambiguïté à l'égard de Paul Kagame et de son total mépris pour la démocratie et les droits de l'homme. Nous sommes très loin du politiquement correct, style généralement adopté par ce genre d'assemblée.

En guise d'illustration, voici quelques-unes des formulations utilisées dans la résolution :

(…) le FPR demeure le parti politique dominant au Rwanda sous le président Kagame et contrôle la vie publique dans le contexte d'un système de parti unique où les personnes formulant des critiques à l'encontre des autorités rwandaises font l'objet de harcèlements, d'intimidations et sont mises en prisons.

(…) le droit et le système judiciaire rwandais enfreignent les conventions internationales auxquelles le Rwanda est partie (…) notamment ses dispositions sur la liberté d'expression et de pensée.

(…) le respect des droits de l'homme fondamentaux, y compris le pluralisme politique et la liberté d'expression et d'association, sont gravement restreints au Rwanda (…).

(…) le procès en première instance de Victoire Ingabire qui ne respectait pas les normes internationales, en premier lieu en ce qui concerne son droit à la présomption d'innocence, et était basé sur des preuves fabriquées et des aveux de co-accusés qui ont été placés en détention militaire au Camp Kami où on aurait eu recours à la torture pour leur extorquer lesdits aveux.

(…) la nature politiquement motivée du procès, la poursuite d'opposants politiques et l'issue décidée à l'avance du procès.

(…) les libertés de réunion, d'association et d'expression sont des composantes essentielles de toute démocratie, et estime que ces principes font l'objet de graves restrictions au Rwanda.

(…) condamne toute forme de répression, d'intimidation et de détention à l'égard de militants politiques, de journalistes et de défenseurs des droits de l'homme ; demande instamment aux autorités rwandaises de libérer immédiatement toutes les personnes et tous les militants emprisonnés ou condamnés pour le seul exercice de leurs droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique.

(…) rappelle que les déclarations obtenues en employant la torture et autres formes de mauvais traitements ne sont admissible dans aucune procédure.

(…) rappelle aux autorités rwandaises que la démocratie se fonde sur un gouvernement pluraliste, une opposition effective, des médias et un système judiciaire indépendants, le respect des droits de l'homme et des droits de réunion et d'expression (…).

Monsieur le Député-Maire, je suis intiment convaincu que vous ne partagez en aucune façon les principes de gouvernance stigmatisés par le Parlement européen. Pourtant par votre récente démarche au Rwanda, vous vous faites complice d’un régime qui n’a de cesse de reléguer la grosse majorité de sa population à l’état de citoyens de seconde zone et ce, au mépris le plus total des droits les plus élémentaires de la personne humaine.

Je me permets, au nom des millions de victimes rwandaises et congolaises pour lesquelles justice n’a toujours pas été rendue, de vous présenter mes salutations distinguées.

Luc Marchal

Ancien commandant du Secteur Kigali

Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda

 

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