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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Braeckman.jpgPar Colette Braeckman

Goma,

Les obus lancés la semaine dernière sur Goma étaient ils aussi des bombes à retardement ? Leurs ondes de choc se font lourdement sentir dans la capitale du Nord Kivu. En effet, les esprits échauffés ont choisi la Monusco comme bouc émissaire, les casques bleus étant accusés de passivité, les Blancs, symboles d’une « communauté internationale » impuissante sont régulièrement pris à partie et les Tutsis, même s’ils sont loin de tous soutenir le M23, se sentent de plus en plus mal à l’aise. Au siège de la mission des Nations unies, les menaces ne sont pas minimisées : « si une autre bombe tombe sur la ville, nos véhicules seront brûlés par une foule en colère, nos maisons assiégées. Et si l’ordre de repli est donné, ce sera la fin de l’intervention onusienne au Congo. Mais peut-être est cela que d’aucuns souhaitent ? »
C’est pour endiguer cette radicalisation des esprits que le Ministre congolais de l’Intérieur, Richard Mueij, a fait le voyage de Goma. Imposante délégation, composée aussi de la ministre du genre et de la famille Mme Inagozi, de chargés de mission, porteurs de mallettes et autres gardes du corps aux lunettes fumées.

Durant des heures, le ministre de l’Intérieur a reçu « le tout Goma » qui attendait son temps d’audience dans les fauteuils de l’hôtel Ihusi : les représentants de la fédération des entreprises congolaises se sont plaints des taxes, du ralentissement des affaires, de l’embargo frappant les produits miniers. Aux représentants des motards (qui sont souvent des jeunes démobilisés issus des groupes armés), aux étudiants qui s‘en prennent trop facilement à leurs condisciples tutsis, aux représentants de la société civile divisés sur le sort à réserver au M23 (les pro gouvernementaux veulent la fin des négociations de Kampala et préconisent une solution militaire, les autres veulent amener les rebelles à Kinshasa afin qu’ils participent aux « concertations nationales ») aux chefs des divers quartiers de la ville, le ministre a tenu un langage ferme. Richard Mueij adjure ses compatriotes : « ne cédez pas à l’ethnisme, à l’intolérance, vous faites le jeu d’éventuels provocateurs. Car des brimades contre les Tutsis serviraient à justifier une intervention rwandaise. Quant aux forces de l’ONU, pourquoi les provoquer, risquer de susciter le départ de la mission alors qu’enfin elles ont décidé de se battre ? »
Plus tard, le ministre nous donnera un point de vue plus politique : « il y a des mois que la délégation gouvernementale et celle des rebelles tournent en rond à Kampala. Or les sujets désormais mis en avant par le M23, la gouvernance, la lutte contre la corruption, intéressent tout le pays. Pourquoi ne pas venir en discuter lors des concertations nationales ? Lors de ces assisses tout le peuple sera représenté, la majorité, l’opposition, la société civile : c’est à ce niveau que sera, éventuellement, signifié la fin du tête à tête de Kampala… »

Il nous faudra discuter avec d’éminents représentants des Nations unies pour comprendre que la carotte et le bâton, la solution militaire prônée par le commandant des forces le général Cruz et la solution politique, défendue par l’envoyée spéciale de l’ONU Mary Robinson ne sont pas forcément incompatibles.
Dans un premier temps, c’est la solution militaire qui prévaut : chargée de neutraliser tous les groupes armés, la Monusco et la Brigade africaine d’intervention s’en prennent d’abord au M23, mais comptent bien, ensuite, en finir avec toutes les milices y compris et surtout les combattants hutus FDLR. «Nous avons engagé toutes nos forces », assurent les porte parole militaires de l’ONU à Goma. « Depuis cinq jours, dès le lendemain des bombardements de la ville, nous avons commencé à pilonner Kibati, à 17 km. Nous voulons occuper les deux positions du M23 d’où sont partis les tirs d’artillerie et depuis mercredi, nous avons engagé la bataille terrestre. »
Autrement dit, les forces gouvernementales congolaises combattent au sol et, selon d’autres sources « elles progressent mètre par mètre ». Les forces de la Monusco bombardent les positions rebelles depuis leurs hélicoptères de combat, les militaires tanzaniens et sud africains, sans attendre la venue tardive de leurs collègues du Malawi, sont engagés dans des duels d’artillerie et les tirs de mortiers s’entendent depuis le collège don Bosco au nord de la ville. Le but de l’opération n’est pas, pas encore, de remporter une victoire définitive sur le M23 mais de l’obliger à reculer jusque Kibumba, afin de desserrer l’étau sur la capitale du Nord Kivu.
Mettre Goma hors d’atteinte empêcherait aussi les rebelles d’alléger la pression sur le front en créant, à coups de bombes, des mouvements de panique en ville.
Cela étant, la résistance des rebelles surprend tous les observateurs « comment expliquer que ce groupe, qui compte 2000 hommes au maximum, résiste aussi bien à une telle armada, oblige cette dernière à se battre pied à pied ? » s’interroge un observateur militaire. Aux yeux des civils congolais la réponse ne fait pas de doute : le M23 n’est pas seul, il est renforcé par d’importants effectifs de l’armée rwandaise qui rapatrie ses morts et ses blessés.
Refusant de se prononcer sur la réalité d’éventuels renforts, les Nations unies se bornent à attendre le déploiement de drônes, qui permettront l’observation aérienne de la frontière et photographieront les éventuelles infiltrations.
Si les coalisés, malgré les difficultés de l’heure, estiment avoir de bonnes chances de remporter la bataille de Kibati, ils n’oublient pas le volet politique, l’indispensable « carotte ». « Lorsque le M23 aura déposé les armes, renoncé à imposer ses revendications par les armes, le temps sera venu d’examiner ses revendications politiques » estime le représentant de l’ONU à Goma, le Hondurien Virgilio Torres. « Il faudra reconstruire le Nord Kivu, donner des garanties à toutes les communautés, les persuader que nous serons aussi fermes dans la lutte contre les groupes armés, dont les FDLR, que contre les rebelles tutsis. Du reste, sachant qu’ils seront les prochaines cibles certains groupes armés, les Mai Mai Kifwawa ou Raia Mutomboki ont déjà commencé à se rendre. »Le fonctionnaire onusien insiste : « il n’entre pas dans le rôle de l’ONU d’anéantir qui que ce soit, nous allons obliger le M23 à déposer les armes mais ensuite nous allons discuter de ses revendications. Contrairement à certains radicaux congolais, nous pensons qu’il faut éviter l’humiliation, ne pas fermer la porte au dialogue. C’est cela, la solution politique dont parle Mary Robinson. »
En attendant, même s’ils se montrent optimistes, les militaires se gardent bien d’augurer de l’issue finale de la bataille : «la nuit peut réserver bien des surprises et Goma demeure indéfendable… »

 

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