Livre blanc du Prof Ntumba Luaba Lumu sur les crimes du Rwanda et de l'Ouganda en RDC
AVANT-PROPOS
Il y a de cela trois ans, intervenant dans le cadre des Journées de réflexion organisées du 5 au 6 octobre 1998 (1), par le Département de Droit international et Relations internationales de la Faculté de Droit de l'Université de Kinshasa, consacrées à « La guerre d'agression contre la République Démocratique du Congo et l'interpellation du droit international », .j'ai parlé de la tentative de « statocide » dont la République Démocratique du Congo était et est encore l'objet.
Du statocide on en est aujourd'hui au génocide des populations civiles congolaises.
Comment s'en étonner, si l'on prend toute la mesure et la portée véritable du crime de « statocide » ?
Alors que l'agression est, comme l'affirme la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée Générale de l'ONU adoptée le 14 décembre 1974, « l'emploi de la force armée par un Etat contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre Etat, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies », le statocide va au-delà. Il s'agit d'une forme caractérisée ou d'une modalité extrême de l'agression.
Le « statocide » s'en prend, au-delà des attributs de l'Etat, à ses fondements, à son existence même, à tous ses éléments constitutifs : pouvoirs publics (souveraineté, indépendance), territoire et population.
Le « statocide » porte atteinte radicalement au droit fondamental de tout Etat à l'existence. Il est comparable à l'atteinte à la vie polir les personnes physiques. Crime matriciel, le « statocide » ne pouvait et ne peut qu'être générateur de tous les autres crimes : crimes contre la paix, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide.
La multiplication des massacres, viols, déportations des populations congolaises ne peut s'expliquer autrement.
La prévention d'un hypothétique génocide sert de prétexte pour en commettre un véritable, dans le silence ou l'indifférence de la Communauté internationale.
Écoutons ce qu'en dit Monsieur Roberto GARRETON, Rapporteur Spécial pour la République Démocratique du Congo : « Dans les régions (le l'Est, qu'occupent les forces dites rebelles » ou « d'agression », les forces armées du Rwanda et de l'Ouganda – et du Burundi à l'occasion – ainsi que le RCD continuent à faire régner un climat de terreur.
Comme les années précédentes, la population locale a été victime de massacres et autres atrocités. Les militaires étrangers agissent en toute impunité. Plusieurs personnes sont mortes sous la torture. La liberté individuelle est violée et au cours de l'année, de nombreux militants d'organisations non gouvernementales ont été places en détention ou menacés. Il n'existe pas de médias indépendants et les rares informations émanant d'organisations de la Société Civile sont étouffées. Toute dissidence ou opposition est qualifiée « d'incitation au génocide ».
De nombreuses affaires de transfert de Congolais vers le Rwanda et, ou plus encore, vers l'Ouganda ont été signalées, en particulier le transfert d'enfants vers ce dernier pays – pour y être enrôlés dans son armée -- ainsi que le rapatriement forcé de réfugiés, en violation du principe de non-refoulement. La peine de mort a été appliquée dans plusieurs cas, ce qui marque une aggravation de la situation par rapport à l'année précédente. Des attaques ont été lancées contre des Paroisses et des établissements religieux, des Prêtres et des Pasteurs ont été assassinés, des assemblées religieuses ont été interdites et l'Archevêque de Bukavu s'est vu empêcher d'exercer ses fonctions.
Absolument aucun espace n'est ménagé à la vie politique. Le RCD s'est érigé en Parti-Etat tout en se dotant d'une milice paramilitaire dite d'auto-défense locale (ADL) – responsable de nombreux attentats.
Quiconque résiste est qualifié d'interahamwe ou de génocidaire. Ce qui permet de torturer et de tuer en toute impunité. Ainsi, « en représailles à des attaques commises contre des militaires que la population congolaise qualifie « d'agresseurs », des soldats du RCD ont massacré à la machette au couteau ou à l'arme à feu des groupes de civils sans défense ; les plus notoires de ces massacres, qui ont fait des milliers de victimes, se sont produits à Ngenge, Kalehe, Kilambo, Katogota, Kamanyola, Lubarika, Luberizi, Cidaho, Uvira, Shabunda, Lusenda-Lubumba, Lulingu, Butembo et, en novembre 1999, Makobola, et à Mwenga où 15 femmes ont été enterrées vivantes après avoir été torturées » (2).
Faudra-t-il combien de victimes pour que la Communauté internationale s'en émeuve ? Combien de temps faudra-t-il attendre encore pour que «le cri du Congo soit enfin entendu » et que les larmes de ses filles et de ses fils sèchent ?
C'est la quête de réponses à ces interrogations et à bien d'autres dont fourmille la mémoire des Congolais qui justifie cette étude.
*Prof. NTUMBA LUABA LUMU
Ministre des Droits Humains
*Le Pr. Ntumba Luaba Lumu est, depuis 2009, secrétaire exécutif (RDC) chargé du programme au sein de la Communauté économique des pays des Grands lacs (CEPGL), une institution économique regroupant le Rwanda, le Burundi et la RDC ayant son siège à Gisenyi au Rwanda.
1 Actes des Journées de réflexion du 5 au 6 octobre 1998 sur la guerre d'agression contre la République
Démocratique du Congo et l'interpellation du Droit international, Département de Droit international public et Relations internationales, Faculté de Droit, Université de Kinshasa. PUZ, 1998, pp. 41-49.
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