Assises de la BAD à Kigali: des journalistes pris en otage
fasozine.com, le 29 mai 2014

«Messieurs les journalistes, on vous a dit que vous êtes logés à Gashora, donc retournez là-bas». Le ton était martial, de marbre et surtout sans équivoque. Il avait surtout l’avantage de montrer que Mister John Philippe, un personnage qui aurait eu meilleure place dans un camp militaire qu’au sein d’une cellule de communication de la prestigieuse BAD, ne badine pas avec les hommes de presse. Et à défaut de les mettre aux pas, comme dans les goulags du temps de l’Union soviétique, il lui fallait simplement les traiter comme des sauterelles qui empestent le monde. C’est ainsi que Kigali la coquette, la ville des mille collines, en l’espace de la tenue des 49è Assemblées annuelles de la Banque Africaine de Développement (BAD), s’est muée en cité aux mille problèmes pour de nombreux journalistes.
Le Britannique était comme en mission au Rwanda juste pour ternir l’image de cette prestigieuse institution qui commémorait son âge d’or et dont les mérites ont été salués, à profusion, par Paul Kagame, Ali Bongo Ondimba, et Yoweri Museveni, les présidents rwandais, ougandais, gabonais, et Thabo Mbeki et Olusegun Obasanjo, anciens chefs d’Etat sud-africain et nigérian, pour ne citer que ces dirigeants. Quelle mouche a donc piqué Joël Kabanzo, le tout nouveau «Monsieur Com» de la BAD et ses ouailles de la cellule communication pour qu’ils soient autant décidés à gâcher le cinquantenaire de la BAD? Quel péché ont donc commis les journalistes en répondant nombreux, et surtout avec spontanéité comme à l’accoutumée, au tocsin sonné par Donald Kaberuka, autour des assises annuelles du Groupe de la BAD? En tout cas, l’expérience de Kigali, aux allures de chemin de croix, fut amère pour certains hommes et femmes de médias.
Une nuit d’enfer
«J’étais loin d’imaginer que j’allais vivre une nuit d’enfer». Ce furent mes premiers mots, lorsque mon garçon de 11 ans, si friand des détails toujours captivants de mes pérégrinations de journaliste, voulait tout savoir sur mon périple rwandais. «Sorti du lit le samedi 17 mai à 6h du matin pour prendre mon vol de 10h, je ne retrouverai une autre couchette que dans la nuit du dimanche 18 mai. A notre arrivée à 1h40 à Kigali, des confrères et moi, furent embarqués dans un bus pour…un autre voyage encore plus pénible que les longues heures passées dans l’avion ou en escale à Niamey au Niger, Addis-Abeba en Ethiopie et Entebbe en Ouganda. Une route bitumée. Ensuite, une bretelle latéritique et surtout crevassée. Le trajet a été long de 53 km, parsemé d’arrêts pour chercher le chemin dans une sorte de forêt qui semblait cacher jalousement l’hôtel La Palisse de Gashora.
N’eût été l’image de pays hautement sécurisé qui colle comme un gant au Rwanda et entretenu par ces militaires croisés à tout bout de champ, le doigt sur la gâchette, notre petit groupe de journalistes malmenés par les cahots de la piste qui serpentait entre les arbres touffus aurait été emparé par la peur d’une quelconque agression. A force de tourner en rond, à la recherche du fameux gîte réservé aux journalistes heureux d’accompagner la BAD qui est restée 50 ans au service des pays membres et réfléchit sur «l’Afrique que nous voulons» dans les 50 années à venir, le chauffeur du bus s’est égaré.
La Palisse de Gashora, un havre de paix
Le GPS n’étant encore qu’un rêve pour des pays comme le Rwanda, il a fallu réveiller, vers 3h du matin, et sous la pluie, un habitant qui a réussi à nous amener à destination. Une fois sur place, quelle ne fut notre surprise de constater que l’hôtel était fermé. Le gardien des lieux s’est alors démené comme un beau diable, toujours sous la pluie, pour faire venir une dame et un homme, que nous pensons être de la réception. Présents au Rwanda parce que soucieux de l’avenir de notre continent, et conscient de la noblesse de notre profession que feignent toujours de banaliser certains, tel le Britannique John Philippe, nous refusâmes de loger dans cet hôtel trop éloigné de Kigali, bercé par les clapotis d’un cours d’eau, donc plutôt propice au farniente.
Mais rien n’y fit, le conducteur du bus et celui qui servait de convoyeur, n’entendaient point nos cris de détresse. Ils ont reçu pour ordre de nous déposer à La Palisse de Gashora, point barre! Ce n’est que vers 8h du matin, que nous empoignâmes nos valises, les yeux lourds de sommeil et le gosier asséché, à force d’implorer d’être reconduits, ne serait-ce qu’à l’aéroport de Kigali, que nos geôliers-parce que la situation ressemblait à une prise d’otages-se résolurent enfin à nous ramener à Kigali.
Les frasques de la cellule de com’
Et nous voilà de retour à la civilisation, réconfortés de pouvoir trouver solution auprès de ceux qui nous ont invités. Erreur sur toute la ligne! La désillusion fut grande pour nous, Mister John Philippe étant décidé à casser du journaliste. La nuit fut courte, la journée s’annonce longue pour nous. Mais contrairement aux ordres du sorcier blanc de la BAD, nous ne retournerons pas à Gashora. Nous allons plutôt atterrir dans un guest-house, grâce à la disponibilité de Joël Ndoli Pierre, cadre du bureau du porte-parole du gouvernement rwandais. Le reste de notre séjour se passa sans autre encombre majeure.
Il fallait toutefois faire diligence pour ne pas rater, le matin, l’une des rares navettes qui nous conduisait de notre manoir isolé vers le lieu dit Camp Kigali, point névralgique des 49è Assemblées annuelles de la BAD. En attendant de retrouver la quiétude de notre havre de paix le soir, il fallait subir la chaleur d’un centre de presse utile juste pour la connexion internet. Même la liste de personnes ressources que nous avons remise à notre contact, gentil Gilbert comme nous l’appelions, et qui l’a transmise à qui de droit pour nos interviews, est restée sans suite.
Kaberuka mérite mieux
Que dire donc du sort réservé à Ismaël Aïdara, le rédacteur en chef délégué de Les Afriques? Victime d’une chute dans la salle de bain de sa chambre d’hôtel, notre confrère s’est entendu dire qu’il n’était pas "sponsorisé" par la BAD et qu’il lui fallait donc payer de sa poche la radiographie et les soins qui lui ont été prodigués! Une autre forfaiture de la cellule communication de la BAD! Pourtant, sauf erreur de notre part, le journaliste était pourtant à Kigali pour assurer la couverture des assises de la Banque.
Joël Kabanzo et ses collaborateurs, présents à Kigali ont cependant réussi sur un plan : rendre presque tous les journalistes nostalgiques de la disponibilité, de la courtoisie, de l’écoute et surtout de l’efficacité de l’ancienne équipe de communication qu’ils ont l’habitude de rencontrer sur le terrain. Vivement que la barre soit redressée, car Donald Kaberuka, le président de la BAD à qui les dirigeants africains et leurs peuple n’ont tressé que des lauriers, mérite mieux pour sa fin de mandat, prévue officiellement pour mai 2015».