Ping-pong judiciaire franco-rwandais (G. Musabyimana 23/07/2007)
Bien que publié pour la première fois en juillet 2007, l'article de Gaspard Musabyimana conserve toute son actualité. A cet égard le retour sur la pointe des pieds de Rose Kabuye à Paris n'absout pas Paul Kagame et ses coacccusés responsables de l'attentat terroriste du 6 avril 1994.
AIGLL
A l'occasion de l'arrestation de Munyeshyaka et Bucyibaruta en France, le ministre des affaires étrangères rwandais, Charles Muligande a déclaré : « On était très déçu de voir qu'un pays, qui se dit terre de loi, se comporte de cette manière. Je crois qu'on a un nouveau gouvernement » (Le Monde du 20 juillet 2007).
L’on ne peut douter, un seul instant, que la France est un pays de droit. Ce n’est pas question de changement de gouvernement car la France, comme dans tout pays démocratique, dispose d’une justice indépendante du pouvoir exécutif. L’arrestation de deux rwandais n’est qu’une suite logique du travail initié depuis longtemps par la justice française : des informations judiciaires avaient déjà été ouvertes contre Wenceslas Munyeshyaka et Laurent Bucyibaruta. C’est en juin 2007 que le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) a dévoilé les actes d’accusation des concernés. Leur contenu est ainsi venu compléter les enquêtes déjà initiées. La France, avec ces nouveaux éléments du dossier, a arrêté les deux suspects, respectant ainsi du même coup les Conventions internationales auxquelles elle a souscrit.
C’est dans le même cadre que la Police française a arrêté Isaac Kamali, interpellé quelques jours auparavant aux Etats-Unis par la Police de ce pays.
Ce n’est pas tout. En novembre 2005, la France a, par le biais de la justice aux armées, jugé recevable la plainte de 6 rwandais contre les militaires français de l’Opération Turquoise. La magistrate Brigitte Reynaud s’est même rendue sur place au Rwanda pour entendre les plaignants.
Ces actions en justice se sont déroulées, malgré les propos peu courtois, voire injurieux, vociférés à plusieurs reprises par les plus hautes autorités de la République rwandaise contre la France. Mais, cela saute aux yeux, la France a pris de la hauteur. Elle a montré que c’est un pays moderne qui applique le principe de la séparation des trois pouvoirs. Elle a laissé la justice faire son travail alors que politiquement le climat était tendu entre elle et le Rwanda.
Ces arrestations devraient servir d’exemple aux autorités rwandaises. Les mandats lancés par le Juge Bruguière contre neuf rwandais dans la mort des ressortissants français devraient connaître une suite appropriée. Les concernés devraient se présenter devant la justice française pour clamer leur innocence. Les rwandais arrêtés en France ne seront pas nécessairement condamnés. Tant qu’un Juge n’aura pas établi leur culpabilité, ils bénéficieront toujours de la présomption d’innocence. De même les inculpés du Juge Bruguière bénéficieront de l’avantage de ce principe sacro-saint de la justice. Mais en ne voulant pas se présenter devant un Juge, ils montrent qu’ils ont quelque chose à se reprocher.
Une question mérite d’ailleurs d’être posée : pourquoi, quand les Etats-Unis ont soupçonné trois rwandais d’avoir pris part à l’assassinat des touristes américains dans le parc de Bwindi en République Démocratique du Congo, le Rwanda les a transférés, en mars 2003, avec une célérité remarquable ? Pourquoi traîne-t-il alors les pieds pour exécuter le mandat du Juge Bruguière ? Les observateurs sont d’avis que le Rwanda applique une politique raciste contre sa population : les 3 suspects jugés aux Etats-Unis sont des Hutu et donc transférables ; les 9 suspects du Juge Bruguère sont des Tutsi et donc non transférables.
Soulignons encore une fois que les Etats-Unis, comme la France, est un pays de droit. Après des enquêtes, la justice américaine a blanchi les 3 rwandais. Ils sont libres. Cela devrait stimuler les 9 inculpés du FPR à aller défendre leur cause en France.
Le Ministre Muligande devrait œuvrer dans le sens de justice en conseillant à ses compatriotes de se présenter devant les juges. Le Rwanda y gagnerait en crédibilité en montrant qu’il est, lui aussi, un pays dans lequel le droit prime.
©Gaspard Musabyimana, le 23 juillet 2007