Chez nos voisins français, les journalistes et chroniqueurs peinent parfois à déconstruire les arguments du Front national de Marine Le Pen, dont les les derniers sondages prédisent une montée en puissance électorale. Ce samedi 26 octobre, Thierry Ardisson invitait dans son émission «Salut les Terriens» (Canal+) le vice-président du FN, Florian Philippot, un des proches de Marine Le Pen.

Lui qui est chargé de la stratégie et de la communication au sein de son parti a pourtant été décontenancé par ses interlocuteurs sur le plateau. Face à lui, en effet, le journaliste renommé Edwy Plenel, ancien directeur de la rédaction du Monde et co-fondateur du site d’investigation journalistique Mediapart. Mais aussi un chercheur spécialisé dans les questions de flux migratoires, à savoir François Gemenne (à partir de 16 min 10 sur la vidéo).

«Un immigré académique en France... »

Ce Liégeois, installé à Paris depuis 2007, est «régulièrement invité par les médias français pour m’exprimer sur ces questions, dans des émissions d’information du type “C dans l’air” par exemple», nous confie-t-il au téléphone ce mercredi. «Je le fais en tant qu’immigré académique, alors que je n’ai jamais été invité sur un plateau en Belgique», sourit-il.

François Gemenne est chercheur et donne des cours dans plusieurs universités, en Belgique et ailleurs. «L’Université de Liège reste mon affectation principale, en tant que chercheur FNRS au Centre d’études de l’ethnicité et des migrations (CEDEM). Durant ce semestre, j’y donne un cours intitulé New developments in ethnic and migration studies», précise-t-il. Durant le semestre suivant, c’est à l’ULB qu’il délivrera un cours. Dans le même temps, le Liégeois est chercheur au sein de Science Po et de l’Université Paris 13, en France.

Le Liégeois salué par Rue 89 et Le Nouvel Observateur

Samedi, c’est à l’aide de chiffres et d’arguments qu’il a en quelques minutes fait forte impression face au vice-président du FN. Plusieurs médias français ont d’ailleurs relevé cette intervention. «Et soudain, chez Ardisson, le discours du FN sur l’immigration s’écroule», a ainsi titré un article le site Rue 89 ce mercredi. Nos confrères évoquent «un moment de télé que nous estimons nécessaire et collector».

Le Nouvel Observateur, qui insiste sur les talents oratoires et propagandistes de «l’arme de destruction massive» du FN, Florian Philippot, revient lui aussi sur ce moment télévisuel. «Ardisson avait eu la bonne idée d’inviter François Gemenne, un spécialiste incontesté de l’immigration», écrit le Nouvel Obs’. «Aussitôt, le vice-président du FN s’est retrouvé en difficulté, quand l’expert en flux migratoires […] a opposé les vrais chiffres de l’immigration aux insinuations et aux mensonges du FN.» Et nos confrères d’énumérer les «9 mensonges du FN enfin révélés»… par le chercheur belge.

Des messages de sympathie et des insultes

«J’ai eu énormément de messages depuis l’émission de samedi. Il y a les messages de sympathie, mais aussi les menaces et injures de sympathisants des thèses du Front national, dont la violence m’étonne toujours», témoigne François Gemenne. «Et puis il y a eu les messages qui me font le plus plaisir: ceux des personnes qui remercient le chercheur de leur avoir fait comprendre certaines réalités à l’aide d’éléments vérifiés, ceux qui avaient tendance à se tourner vers le FN mais qui peuvent changer d’avis.»

« Le chercheur a toute sa place sur les plateaux TV »

Ce passage remarqué sur Canal+ conforte François Gemenne dans l’idée que les chercheurs doivent être présents dans les médias. «Je pense qu’ils ont toute leur place sur les plateaux TV, même dans une émission de divertissement comme celle de Thierry Ardisson», nous confie-t-il ce mercredi.

Cela est particulièrement vrai dans une France où le Front national est promis à un bel avenir électoral, martelant des arguments plus que douteux à longueur d’émissions. «Ces arguments sont construits par le FN, mais en plus ils s’alimentent eux-mêmes. À force de répéter que l’immigration est un problème, les gens finissent par le penser et cette thématique s’inscrit à l’agenda politique et médiatique», poursuit François Gemenne.

«Je suis parfois surpris d’entendre des habitants de milieux ruraux parler de l’immigration comme ils le font, alors qu’il n’y a pas un seul immigré dans leur village.» De fait, la présence de chercheurs à la grande légitimité permet de déconstruire des arguments, qui peuvent séduire une large part de la population. «Le rôle des chercheurs consiste aussi à faire savoir au public, pour qu’il choisisse en connaissance de cause. Si les gens ne savent pas, ils peuvent avoir tendance à sympathiser avec des thèses simplistes et radicales… et je peux les comprendre.»