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Publié par FRANCE-RWANDA TRIBUNE

mediapart.fr, le 1er juin 2012Paul-Quiles.jpg

Le dramatique génocide des Tutsis du Rwanda n'en finit pas de donner lieu à des polémiques assez tristes, où les camps en présence, forts de leurs convictions, s'efforcent de faire la preuve qu'ils détiennent la vérité. Il n'est naturellement pas répréhensible de vouloir convaincre, sauf lorsque les approximations, les anathèmes, la manipulation créent un climat peu propice à la manifestation de cette vérité.


A cet égard, j'ai été choqué par l'éditorial de M. Bourmeau dans Libération du 1er juin. Son appréciation du travail de la Commission parlementaire sur le Rwanda que j'ai présidée en 1998 est tout simplement méprisante, infondée et lourde d'un sous-entendu scandaleux ("un vaste écran de fumée"......destiné à empêcher de "faire prendre toute la mesure de la responsabilité de François Mitterrand et donc, de notre pays, dans ce génocide").

Je rappelle, comme je le fais depuis des années sans me lasser, que les 40 députés de la mission ont auditionné pendant 110 heures 88 personnes, des responsables politiques, des militaires, des diplomates, des universitaires, des civils français et rwandais. Ces auditions ont été exceptionnelles, tant par leur nombre que par leur caractère détaillé et approfondi. La plupart d'entre elles ont été publiques, ouvertes à la presse écrite et audiovisuelle. Certaines ont même été télévisées en direct. Les rapporteurs se sont rendus à Bruxelles, à Washington, au siège des Nations Unies à New York, ainsi qu'au Rwanda, en Ouganda, au Burundi et en Tanzanie.

Les témoignages des 74 personnes qu'ils ont rencontrées par ailleurs ont été intégralement et rigoureusement pris en considération dans le cadre de la méthode de travail définie par la mission parlementaire. Nous avons analysé 15 000 pages de textes, de télégrammes diplomatiques et de documents militaires; pour 7000 pages, la classification "secret défense" a été levée et certaines d'entre elles ont été publiées en annexe de ce rapport de 1500 pages .

Le travail de notre Mission a été considéré comme une grande première. C'était en effet la première fois sous la Vème République que le Parlement enquêtait sur le "domaine réservé" que constituent la défense et la politique étrangère. Et nous l'avons fait sans complaisance aucune.

A ceux qui auraient la curiosité de s'interroger sur la qualité des "révélations" qui viennent d'être faites (18 ans après les faits) sur les missiles suceptibles d'avoir abattu l'avion du Président rwandais*, je conseille de lire la partie du rapport de la mission parlementaire concernant l'attentat du 6 avril 1994 (pages 212 à 250), qui évoque les 4 hypothèses possibles pour le scénario et les commanditaires de l'attentat.


Il y est question (page 216) d'un rapport d'Human Rights Watch faisant état d'un "stock de 40 à 50 missiles SAM-7 et 15 Mistral, emportés par les forces armées rwandaises au Zaïre après leur défaite".


On y trouve aussi 10 pages donnant de façon précise les mécanismes d'exportation d'armes ainsi que le détail des livraisons effectuées pendant la période (pages 168 à 178).

Un journaliste m'a demandé quelle était mon intime conviction sur cet attentat, qui a été le point de départ de l'épouvantable génocide. Je lui ai répondu que je n'en avais pas, car le dossier est si complexe et, par certains aspects, confus, qu'il serait présomptueux de trancher aujourd'hui. Par contre, je fais mienne la position de Filip Reyntjens, professeur à l'Université d'Anvers**, qui concluait ainsi une excellente tribune publiée par Le Monde :
"Ces quelques constats montrent simplement que ceux qui ont affirmé qu'avec le rapport d'expertise, "la vérité est connue" aiment les histoires simples. Même si je pense toujours que les faisceaux d'indications désignent plutôt le FPR que les FAR comme auteur de l'attentat, je ne prétends pas connaître la vérité. Ce sera aux juges Trévidic et Poux de décider, à l'issue de leur instruction, sur la base de tous les éléments du dossier et -surtout? en toute indépendance, si oui ou non il sera nécessaire de transmettre le dossier pour poursuites éventuelles. Puisque le gouvernement rwandais a salué le sérieux des deux juges, il faut espérer que leur décision mettra fin à une controverse vieille de près de 18 ans."


Il y a un peu plus de 3 ans, j'ai demandé dans une lettre adressée au Secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, que l'ensemble des travaux conduits jusqu'à présent sur les causes, le déroulement et les conséquences du génocide du Rwanda soient soumis à l'examen d'une commission de personnalités indépendantes à l'expertise reconnue. Cette commission aurait été chargée de procéder à l'évaluation de toutes les enquêtes conduites sur ces évènements et d'établir, à l'intention des gouvernements et des opinions, une analyse impartiale et incontestable. Ses travaux auraient apporté une contribution essentielle aux efforts de réconciliation et de reconstruction dans la région des Grands Lacs.

Le refus de M.Ban Ki-moon m'a beaucoup déçu, mais je souhaite que le Président de la République française qui vient d'être élu puisse le solliciter à nouveau. Si cette démarche aboutissait, on éviterait que l'accumulation des faits et la multiplication d'interprétations contradictoires continuent à créer la confusion, à entretenir des polémiques partisanes, amenant en fin de compte l'opinion publique internationale à se désintéresser des immenses tragédies vécues par les peuples du Rwanda et de la République démocratique du Congo.

http://blogs.mediapart.fr/blog/paul-quiles/020612/rwandasortir-de-la-confusion

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