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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

MERCI TURQUOISE

Extrait de "LA FRANCE A-T-ELLE PARTICIPÉ AU GÉNOCIDE RWANDAIS?"

Livre de JEAN MARIE NDAGIJIMANA (Author), page 109

Nyarushishi, symbole du succès de Turquoise

En 1994, le camp de Nyarushishi était le plus grand rassemblement des rescapés tutsi sous protection des forces françaises, en préfecture de Cyangugu. Avant le 6 avril, ce camp abritait des réfugiés hutu burundais accourus en masse au Rwanda après l’assassinat du président Melchior Ndadaye en octobre 1993. Au lendemain de l’assassinat des présidents Habyarimana du Rwanda et Ntaryamira du Burundi, les réfugiés burundais avaient déserté le camp de Nyarushishi, les uns pour rentrer précipitamment au Burundi, les autres pour participer à la chasse aux Tutsi dans la région de Cyangugu, aux côtés des miliciens hutu Interahamwe. Dès le départ des Burundais, Nyarushishi apparut comme étant le seul lieu sécurisé, équipé en infrastructures collectives susceptibles d’accueillir les réfugiés tutsi. Beaucoup de Tutsi réfugiés au stade de football de Cyangugu après le 6 avril 1994 furent par la suite transférés par les autorités préfectorales et la Gendarmerie nationale au camp de Nyarushishi. Ce ne sont donc pas, comme on l’entend souvent, les Français qui ont créé le camp de regroupement des Tutsi à Nyarushishi, mais les autorités locales de Cyangugu, bien avant l’arrivée de Turquoise. Tous les rescapés qui ont témoigné sur cette période m’ont affirmé qu’à aucun moment, ils ne furent inquiétés par les gendarmes rwandais qui les protégeaient. Au contraire, tous ont loué le courage et la bienveillance qui caractérisait les hommes de feu le Colonel Bavugamenshi, lui-même originaire de la région et très proche du Premier ministre Faustin Twagiramungu.

 

Telle était la situation lorsque les premiers contingents de Turquoise arrivèrent par le pont de la Rusizi, le 23 juin 1994. Des milliers de Tutsi étaient déjà dans le camp de Nyarushishi, sous la protection d’un détachement de la Gendarmerie nationale, alors que des milliers d’autres se cachaient dans des églises, ou chez des amis hutu. D’après le témoignage du sergent-major gendarme qui dirigeait les hommes en faction à Nyarushishi, la remise-reprise avec les militaires de Turquoise fut des plus courtoises. Sur recommandation du Colonel Bavugamenshi, les gendarmes rwandais restèrent dans le camp, d’autant que certains étaient mal vus par leurs collègues fraîchement venus du front. Ces derniers reprochaient aux premiers d’avoir protégé des Tutsi, pendant que le FPR exterminait les Hutu sur son passage.

 

J'y étais !

 

A la mi-juin 1994, plus de 12000 Tutsi dont plusieurs membres de ma famille, étaient dans le camp de Nyarushishi.

Le 16 août 1994, à l’occasion des tournées que le nouveau gouvernement organisa dans la ZHS pour prendre contact avec la population, je me suis rendu  notamment à Cyangugu, en compagnie de trois collègues ministres, à savoir Seth Sendashonga, Alphonse-Marie Nkubito, et Jacques Bihozagara. La MINUAR nous avait prêté un de ses hélicoptères pour ce déplacement considéré par certains membres du gouvernement comme un voyage à hauts risques. Dès notre arrivée à Cyangugu, notre délégation fut placée sous la protection des hommes du Colonel Jacques Hogard. Des militaires du FPR nous accompagnaient. Des gendarmes rwandais restés à Cyangugu, avec à leur tête feu le Colonel Augustin Cyiza, nous rendirent les honneurs. Ils faisaient partie d’un groupe de militaires ayant refusé de partir en exil, se mettant à la disposition de la Force Turquoise pour diverses tâches de sécurisation. J’ai, à l’occasion de cette visite, eu la chance de retrouver plusieurs membres de ma famille, Tutsi comme Hutu, qui me confirmèrent tous qu’ils avaient été sauvés de justesse par les soldats français. Les rescapés du camp de Nyarushishi avaient envoyé à notre rencontre une délégation conduite par un certain Daniel Kamatari. Au nom des Tutsi de Nyarushishi, l’ancienne gloire du football dans ma préfecture témoigna publiquement et remercia Turquoise et la France de leur avoir sauvé la vie. J’y étais, comme dirait l’autre !

 

Par le biais de ce genre de visites, Turquoise a indirectement permis au gouvernement de prendre pied, de sécuriser le flanc ouest du pays, de s’organiser, de mettre en place les nouvelles institutions sur le reste du territoire national qu’il contrôlait, assuré qu’il était que les Interahamwe et les FAR étaient tenus en respect par les soldats de Turquoise.

 

Au lieu de les remercier, les autorités rwandaises actuelles reprochent aux militaires français de les avoir empêchées de poursuivre le massacre des populations civiles, comme cela fut le cas partout où le front rebelle est passé.

 

Paul Kagame ne se gêne pas pour le proclamer sur tous les toits. Dans un discours devenu célèbre prononcé à Murambi, le 7 avril 2007, et dont nous possédons des copies audio et la retranscription, le général Paul Kagame a regretté que ses troupes n’aient pas eu le temps ni la capacité militaire de liquider tous les réfugiés hutu avant qu’ils n’aient eu le temps de fuir ! Il a cependant promis que si l’occasion devait se représenter, il ne « lésinerait pas sur les moyens pour finir le travail ». Parlant des troupes françaises de l’Opération Turquoise, Paul Kagame a ajouté : « Ceux qui étaient ici dans le cadre de l’opération Turquoise sont partis avant que nous ayons pu les croiser. Nous aurions pu nous défouler sur eux de toute notre colère et ils auraient quitté le Rwanda en emportant un bon cadeau’’. C’est cela la vraie raison de l’acharnement du régime rwandais actuel et de ses alliés contre les officiers de Turquoise. Il leur reproche tout simplement de l’avoir empêché d’exterminer les millions de Hutu qui, fuyant les massacres du FPR, s’étaient réfugiés dans la zone Turquoise avant de poursuivre leur exil vers le Zaïre.

 

Quel autre pays, quelle autre puissance, a fait autant ou mieux que la France au cours de la même période ?

 

Ceux qui en France mettent en cause la Mission Turquoise seraient mieux inspirés de se poser les quelques questions suivantes : 

- Quel autre pays, quelle autre puissance, a fait autant ou mieux que la France au cours de la même période ? Les États-Unis, l’Allemagne ? La Belgique, ancienne puissance tutrice ? La Chine ? La Russie ? Non, aucun autre pays n’a levé le petit doigt pour sauver ne fût-ce qu’un Rwandais. La Belgique qui avait des troupes au sein de la MINUAR les a retirées, suite à l’assassinat de dix de ses para-commandos par des éléments des FAR, au lendemain de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana.

- Pourquoi la France a-t-elle été seule au Rwanda, au contraire de certaines autres puissances aujourd’hui promptes à présenter des excuses publiques pour leur inaction coupable ?

- Et si la France avait eu la même attitude que la Belgique, que les USA, la GB, l’Allemagne, la Chine, la Russie ? Et si les Rwandais avaient été totalement abandonnés à eux-mêmes, que ne diraient pas aujourd’hui les experts de la dernière heure ?

- Que seraient devenus les dizaines de milliers de  Tutsi sauvés des griffes des miliciens Interahamwe si la Mission Turquoise n’était pas intervenue ? La réponse est sans appel : ils auraient malheureusement connu le même sort que les centaines de milliers d’autres Tutsi tombés sous les machettes des génocidaires comme partout ailleurs dans le pays.

 

Il est vrai qu’aux yeux de certains, les quelques dizaines de milliers de Tutsi et de Hutu sauvés par Turquoise à Nyarushishi ou ailleurs peuvent sembler insignifiants, comparés aux centaines de milliers d’autres égorgés entre avril et juillet 1994. Mais qui, à l’exception des tueurs et de leurs complices, peut regretter que les rescapés aient eu la vie sauve ?

La plupart des experts, journalistes, humanitaires, qui critiquent l’action de la Mission Turquoise, sont les mêmes qui, dès avril 1994, ont rejoint le concert entonné par les hommes de Kagame pour s’opposer à l’intervention internationale, pendant que nos parents se faisaient égorger.

 

Citant la Libre Belgique du 09 avril 2004, l’Agence France Presse rapportait que les analystes de la NSA (National Security Agency), avaient conclu que si la communauté internationale avait suivi les suggestions de la France et agi rapidement, les tueries auraient pu être arrêtées avant qu'elles ne s'étendent. Il s’agit, de la part de la NSA, d’un hommage à la France, certes tardif mais valant son pesant d’or.

 

Comment ne pas dire merci et rendre hommage à ces hommes qui ont mis leur vie en danger pour voler au secours de notre peuple au moment où la communauté internationale donnait l’impression de lui avoir tourné le dos ? C’est grâce à Turquoise que des milliers de Rwandais, dont des membres de ma famille hutu et tutsi, ont échappé à leurs bourreaux, à l’Église de Mibirizi ou au camp de Nyarushishi. Grâce à Turquoise, des milliers d’autres ont pu prendre le chemin de l’exil sans encombre. Turquoise a, en effet, sauvé des milliers de mes compatriotes, en leur permettant de poursuivre leur route de l’exil sans se faire bombarder par les troupes du FPR. N’en aurait-elle sauvé qu’un seul, je lui dirais quand même merci. Merci d’avoir redonné de l’espoir aux populations de Kibuye, Gisenyi, Cyangugu, ainsi qu’à toutes les autres venues du reste du pays, fuyant les avancées meurtrières du FPR. Merci d’avoir mis fin aux entreprises criminelles des milices Interahamwe et de certains éléments des FAR qui participaient au génocide au lieu de combattre l’armée adverse.

 

Turquoise a été le couronnement de l’engagement constructif de la France durant tout le processus d’autodestruction dans lequel mon pays s’était engagé.

Pris de remords, l’ancien président américain, Bill Clinton, s’est rendu au Rwanda où il a présenté ses excuses et demandé pardon au peuple rwandais pour l’avoir abandonné aux criminels. Sa repentance est plus que justifiée, lui qui ne voulait pas entendre parler du mot génocide au plus fort des massacres d’avril à juillet 94. Lui qui mit au contraire tout le poids de la puissance américaine pour empêcher que la communauté internationale ne vole au secours du peuple rwandais. Les Belges ont, eux aussi, demandé pardon au Rwanda, pour avoir retiré leurs contingents de la MINUAR au moment où les Rwandais en avaient le plus besoin.

 

S’agissant de la France, tout n'a pas été rose. Force est de reconnaitre néanmoins que, toutes choses étant égales par ailleurs, Paris a été la seule capitale occidentale à avoir accompagné le processus de paix au Rwanda avec plus ou moins de clairvoyance et de constance depuis le début du conflit rwandais. Si cela s’est mal terminé, la faute en revient aux protagonistes rwandais qui n’ont pas joué le jeu, mais aussi, il est vrai, à l’absence du pays qui connaissait le mieux le Rwanda, en l’occurrence la Belgique qui se retira dès la mi avril 1994, au moment où certaines puissances étaient occupées à y provoquer le chaos, avant de mettre le grappin sur les richesses de la région.

 

Aucun autre pays du Nord n'a sauvé un seul rwandais de la mort, au plus fort de l’apocalypse de 1994

 

Dès qu’elle eut obtenu le mandat de l’ONU pour intervenir, la France a pu sauver des milliers de Rwandais, Twa, Hutu et Tutsi. On ne le dira jamais assez, aucun autre pays du Nord n'a sauvé un seul rwandais de la mort, au plus fort de l’apocalypse de 1994.

Si toutes les grandes puissances avaient combiné leurs forces et donné à la MINUAR un mandat similaire à celui confié à la Mission Turquoise, s’ils avaient mis à sa disposition des moyens humains suffisants, nul doute que le génocide eut pu être arrêté à temps. La communauté internationale devrait donc assumer collectivement ses responsabilités, au lieu de permettre à un régime criminel de mettre en cause le seul pays qui a eu le mérite et le courage de prendre ses responsabilités et d’agir." 

Extrait de "LA FRANCE A-T-ELLE PARTICIPÉ AU GÉNOCIDE RWANDAIS?"

Livre de JEAN MARIE NDAGIJIMANA (Author), page 109)

* JEAN MARIE NDAGIJIMANA était Ambassadeur du Rwanda à Paris d’octobre 1990 à avril 1994. Au cours de cette période, il a, à ce titre, suivi de près l’engagement de la France au Rwanda dans tous les domaines. A travers ce livre, il livre son témoignage sur l'action de la France dans son pays.

 

 

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