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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

COMPTE-RENDU de la conférence "Rwanda 1990-1994 : Les ingrédients du génocide" organisée par le CriDIS, RwaBaho et le CPCH, avec S.E. Johan Swinnen
COMPTE-RENDU de la conférence "Rwanda 1990-1994 : Les ingrédients du génocide" organisée par le CriDIS, RwaBaho et le CPCH, avec S.E. Johan Swinnen

Rwanda 1990-1994 : Les ingrédients du génocide

Compte rendu de la conférence-débat avec S.E. Johan Swinnen, à l’Université catholique de Louvain

Mercredi 18 mai 2016, S.E. Johan Swinnen, Ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 à 1994 a tenu une conférence-débat à l’Université catholique de Louvain sur les ingrédients ayant mené au génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, en 1994.

Organisée par le Centre de recherches interdisciplinaires Démocratie, Institutions et Subjectivité (CriDIS) de l’Université catholique de Louvain (UCL), en partenariat avec la plateforme d’information sur la situation des droits humains au Rwanda (RwaBaho) et le Centre pour la Prévention des Crimes contre l’Humanité (CPCH), cette conférence-débat s’inscrivait dans le cadre de la 22ème commémoration du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda, en 1994.

Accueil par le Directeur du CriDIS

Dans son mot d’accueil, Thomas Périlleux, Professeur à l’UCL et Directeur du CriDIS, a d’abord remercié les participants. Il a ensuite indiqué que le CriDIS a pour vocation de poser les enjeux démocratiques des sociétés contemporaines. Il aborde la question de la démocratie de manière originale, dans le rapport entre des institutions, garantes d’un débat contradictoire, et des subjectivités critiques qui peuvent faire entendre leurs voix dans l’espace public. C’est ce rapport qui est souvent mis à mal par les violences génocidaires et les traumatismes psychosociaux qui défont les liens sociaux entre les personnes et entre générations.

Outre la question de la démocratie, le CriDIS s’emploie à promouvoir les droits humains. Il compte actuellement trois plateformes d’information sur la situation des droits humains en Colombie (COLPAZ), au Chili (Chile Derechos Humanos Plateforme) et au Rwanda (RwaBaho). Ces plateformes sont accessibles via le Site web du CriDIS : https://www.uclouvain.be/cridis.html.

Introduction par le Président de la plateforme RwaBaho

Après l’observation d’une minute de silence et de recueillement à la mémoire de toutes les victimes du génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994, Pacifique Kabalisa, Président de la plateforme RwaBaho, a expliqué que RwaBaho est un acronyme de la langue rwandaise, conçu à partir d’une courte phrase impérative : Rwanda, Baho ! Cette phrase signifie en français « Rwanda, vis !». Le Rwanda vit depuis des siècles, mais RwaBaho aimerait qu’il puisse vivre éternellement et c’est en respectant les droits humains que ce vœu pourra se réaliser. RwaBaho est donc née d’une volonté de fournir une information sur la situation passée et présente des droits humains au Rwanda et de transmettre la mémoire du génocide commis contre les Tutsi qui a fait plus d’un million de victimes, parmi lesquelles des Hutu et d’autres personnes opposées à ce crime de masse, notamment des Belges.

Pacifique Kabalisa a souligné que ce génocide était l’aboutissement d’une maturation dans le temps, que les cibles étaient bien définies, que les massacres obéissaient à un plan systématique et que les tueurs étaient pour la plupart des proches de la communauté sociale de leurs victimes.

Intervention de S.E. Johan Swinnen

Arrivé au Rwanda six semaines avant l’invasion de l’armée du Front patriotique rwandais (FPR-Inkotanyi) le 1er Octobre 1990, S.E. Johan Swinnen a été évacué le 12 avril 1994, soit six jours après le début du génocide. Il se trouvait donc au Rwanda à un moment crucial de l’histoire du pays et pourrait, à ce titre, être considéré comme un témoin-clé de cette période précédant la tragédie de 1994.

Dans son témoignage, S.E. Johan Swinnen a indiqué qu’après l’attaque du FPR-Inkotanyi, la situation qui prévalait au Rwanda était préoccupante : l’on craignait alors une « déstabilisation tragique ». En effet, le régime Hutu du Président Habyarimana était confronté à un double défi : rétablir la paix et partager le pouvoir avec le FPRInkotanyi composé essentiellement d’exilés Tutsi, et poursuivre les réformes démocratiques internes, telles que la révision de la Constitution, la réintroduction du multipartisme et la promotion de la liberté de presse et des autres droits de l’homme, le développement d’un Etat de droit et la lutte contre la discrimination ethnique et régionale.

La communauté internationale, dont des diplomates belges, a accompagné et encouragé cette double dynamique, portée et crédibilisée par de nombreux Rwandais courageux et visionnaires. Les réformes démocratiques internes furent relativement rapidement adoptées : adoption de la nouvelle constitution en 1991, création d’une quinzaine de partis politiques dans la même année, publication de plusieurs nouveaux journaux privés, naissance de diverses associations de défense des droits de l’homme particulièrement actives.

Les accords de paix d’Arusha (Tanzanie) ont été signés en août 1993 entre le régime du Président Habyarimana et le FPR-Inkotanyi, réglant ainsi le partage du pouvoir politique et militaire au sein des institutions de transition. Au bout de 22 mois, ce système transitoire devait céder la place à des institutions issues d’élections libres et démocratiques. Afin d’accompagner le processus d’application des accords de paix d’Arusha, l’ONU a mis en place une force de maintien de la paix, la MINUAR, dont les 450 soldats belges en formaient le socle. La suite, on la connaît : l’attentat contre l’avion du

Président Habyarimana le 6 avril 1994 a déclenché le génocide.

S.E. Johan Swinnen a précisé que durant son séjour au Rwanda, il n’a jamais pensé à un embrasement général aussi grave qu’un génocide. Il craignait, et il a utilisé ce terme à maintes reprises dans ses télex et rapports, une “déstabilisation tragique” dont il percevait les prémices : mécontentement provoqué par les accords de paix d’Arusha, reprise des attaques et des incursions du FPR-Inkotanyi, implosion du centre démocratique modéré et propension à la radicalisation et à la polarisation, distribution d’armes et de munitions (notamment par des responsables politiques locaux), propagande négative et incitation à la haine et à la violence par la RTLM (Radio Télévision Libre de Mille Collines), apparition de plus en plus gênante et dangereuse des milices Interahamwe et Impuzamugambi dans les centres urbains et sur les collines. Cette radicalisation fut encore aggravée par l’assassinat par des militaires tutsi, le 21 octobre 1993, du Président hutu burundais, Melchior Ndadaye, démocratiquement élu quelques mois auparavant.

Selon S.E. Swinnen, cet attentat porta un véritable coup de massue au processus de paix au Rwanda. C’est le Président Habyarimana lui-même qui dit à l’Ambassadeur ce jour-là qu’il aurait des difficultés à faire accepter les compromis d’Arusha à une opinion publique traumatisée, ayant perdu toute confiance dans l’opportunité d’un processus pacifique et démocratique.

S.E. Johan Swinnen dit avoir continué, avec toute son énergie, à plaider auprès du Président Habyarimana pour une meilleure et une plus persuasive explication du compromis d’Arusha qui ne tolérait pas d’alternative. Adoptant la même attitude vis-à-vis du FPR-Inkotanyi, l’Ambassadeur demanda par exemple directement au Major Kagame si ce dernier pensait vraiment que les messages de sa Radio Muhabura étaient conformes aux accords de paix. Ou encore si le FPR-Inkotanyi ne s’aviserait pas d’évoquer lui aussi la perspective d’élections démocratiques qui donneraient lieu, le cas échéant, à une reconfiguration du partage du pouvoir.

S.E. Johan Swinnen a conclu son intervention en déplorant le retrait quasi intégral des troupes de la MINUAR, laissant ainsi le champ libre aux génocidaires. Il a notamment regretté le départ du bataillon belge de la MINUAR qui a abandonné les réfugiés Tutsi et Hutu modérés à l’ETO (Ecole Technique Officielle) de Kicukiro (Kigali) – plus de 2.000 personnes - à une mort certaine. Toutefois, il a expliqué qu’il n’y avait plus d’accords de paix à maintenir et que le mandat des troupes de la MINUAR était trop faible pour faire face au retournement de la situation. Il a mentionné que la Belgique avait d’ailleurs plaidé formellement, mais sans succès, depuis des mois, pour un renforcement de ce mandat. Il a surtout rappelé que non seulement des soldats belges mais aussi des citoyens belges qui résidaient au Rwanda ont été assassinés, et que la RTLM exhortait les tueurs à prendre pour cible les ressortissants belges.

Après l’exposé de S.E. Johan Swinnen, les participants ont posé des questions et/ou fait des commentaires. Animée par Benoît Feyt, journaliste à la RTBF, cette discussion a montré que toute la vérité sur le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994 n’est pas encore établie ; plusieurs zones d’ombre demeurent. D’où l’importance d’une conférence-débat comme celle-ci pour retisser les fils de l’histoire, poursuivre le travail de la parole et de l’analyse et nourrir le débat démocratique.

Quelques images de la conférence-débat :

Rwanda 1990-1994 : Les ingrédients du génocide

Générique de la conférence-débat avec S.E. Johan Swinnen, à l’Université catholique de Louvain en date du 18 mai 2016.

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