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Publié par La Tribune Franco-Rwandaise

Is Rwanda's authoritarian state sustainable? -- Le régime autoritaire du Rwanda est-il durable ?

Laura Seay
« Is Rwandan'authoritarian state sustainable? »
Washingtong Post
3 juin 2016

Traduction d'André Guichaoua
[Blair, Buffet et Kagame en photos lors du Forum économique mondial de Kigali le 12 mai 2016.]

Le Rwanda est la grande success story d'un état post-colonial en Afrique. La narration préférée du pays -celle d'une rédemption et d'un renouvellement après les indescriptibles atrocités du génocide de 1994- est celle d'une irrésistible histoire inspirée par Kagame et une équipe de leaders haut placés dans le monde.
S'il faut répondre à un journaliste expérimenté qui dénonce le rôle des forces armées rwandaises dans les massacres du Congo après le génocide ou le soutien de Kagamé au mouvement rebelle M23, celui-ci peut compter sur le soutien de ses puissants amis pour défendre sa politique et ses intérêts, quelle que soit la manière non démocratique et les violations des droits humains de cette politique.
Les défenseurs de Kagame tendent à focaliser sur les gains économiques et développementaux substantiels que le Rwanda a obtenus en 15 ans. Les statistiques officielles sont impressionnantes. Le taux de pauvreté est passé de 56,7% en 2005 à 44,9% en 2010. La fréquentation de l'école primaire a monté en flèche, et l'espérance de vie s'améliore régulièrement. S'alignant sur Singapour avec les mêmes méthodes autoritaires qui n'acceptent aucune dissidence publique les leaders de Kigali re-créent une nouvelle cité africaine modèle. La plupart des visiteurs qui viennent pour la première fois sont enchantés par la propreté de la ville et les rues bien pavées, dans le style occidental, avec ses cafés et restaurants, et la possibilité d'incroyables aventures touristiques telles que l'accès au pays des gorilles durant un safari haut de gamme.

Toute cette perfection a un coût. Kigali est désormais vidée de ses pauvres « disgracieux » qui ont été jetés de la ville et enfermés dans un centre de détention violent. Les grandes améliorations du développement tant vanté sont inégales, avec d'un côté ceux qui ont en ville le plus grand accès aux services et autres opportunités tandis que ces opportunités sont difficiles d'accès voire absentes du monde rural.

Deux nouveaux ouvrages nuancés abordent le contexte dans lequel le génocide rwandais et son autoritarisme d'état développementaliste post-génocide ont eu lieu.
Les deux devraient être lus par quiconque est intéressé par la question du conflit, du développement et de la relation entre les deux.

Dans « Bad news: les derniers journalistes d'une dictature », le journaliste et auteur Anjan Sudaram raconte le mauvais sort dont sont victimes les journalistes dans le contexte rwandais de plus en plus autoritaire. Son ouvrage se lit tel un roman à suspens avec un sens de la narration qui confirme les pires craintes que le lecteur ressent à maintes reprises.

Dans ce livre, Sundaram précise la manière avec laquelle le régime rwandais pratique une combinaison de propagande, de répression et de menace pour que quiconque se plie à ses volontés. Il compare le Rwanda à un théâtre dans lequel chacun connait le script et doit jouer sa partition, tant la punition pour tout « oubli » sera impitoyable.

Une des excuses que les supporters de Kagame trouvent souvent pour continuer de le soutenir est qu'il faut de la poigne dans un contexte post-génocide pour sortir le pays de la conflictualité et le mener à la prospérité. Sundaram montre que le régime a dépassé le niveau de la restauration de l'ordre jusqu'à des abus illégaux contre la citoyenneté.
Qu'il s'agisse de détruire une récolte parce qu'un paysan voulait faire des patates plutôt que les haricots imposés par les autorités ou que ce soit pour exiger des fleurs sur tous les lieux de travail, les dirigeants rwandais ont visiblement une capacité d'intervention incessante pour dominer jusqu'au moindre détail de la vie des gens.

Les règles superficielles, mesquines, et arbitraires prennent une telle importance que les faits sont devenues croyances envers le gouvernement et les croyances du gouvernement sont devenus des faits.
Ces politiques intrusives sont uniquement destinées à renforcer le pouvoir et sa capacité à contrôler l'histoire, de telle sorte que les citoyens ne puissent échapper même à la plus ridicule des exigences. Sinon de sérieux ennuis poussent les familles à se déchirer à cause de la loyauté envers le régime. Même le lien entre mère et fils n'est pas à l'abri d'une telle domination psychologique. Sundaram décrit une réunion avec une mère dont le fils fut exécuté mais qui a cependant récité son rôle comme dans une pièce: « Il l'a mérité ».

Cette domination psychologique a des conséquences. Observateur habile des réalités qui se trouvent derrière la facade des villages Potemkine de ce Rwanda trop parfait, Sundaram détaille de nombreux exemples d'un phénomène à travers lequel les Rwandais, forcés à la soumission et qui connaissent le prix élevé de la dissidence, font des choses contre leur propre jugement et au-delà de toute raison.
Il raconte un voyage dans un village du sud rwandais où les officiels ont subitement obligé tous les résidents à défaire les toits de chaume de leurs huttes dans le cadre du plan de modernisation de l'habitat. Ils étaient ensuite livrés à eux-même sans toits de rechange ni autre logement.
Ayant peur de défier les autorités, les villageois sont restés soumis durant des heures, étant alors exposés aux éléments, avec des vieux, des jeunes et autres personnes vulnérables qui tombaient malades ou mourraient prématurément. Là encore les villageois confirmaient le récit de Sundaram. Une vieille femme atteinte de malaria, couchée sur un lit trempé, disait que « le président était un visionnaire pour avoir détruit ces toits, et cela était le signe du progrès qui arrivait au Rwanda ».

Sundaram a des mots durs pour les diplomates et les travailleurs sociaux qui s'activent si facilement avec des projets en faveur du système alors qu'ils connaissent parfaitement les tactiques répressives dans lesquelles Kagame et ses alliés s'engagent. L'auteur précise toutes les façons absurdes auquel le Rwanda recoure pour violer les droits et les normes démocratiques- par exemple un journaliste a exactement prédit le résultat des élections présidentielles de 2010 car le pourcentage était prédéterminé par l'État. Jusqu'à présent le Rwanda n'a pas eu à subir de conséquence de la part de ses donateurs telle que des coupes significatives du budget national qu'ils soutiennent.

Les défenseurs du Rwanda et ceux qui le voient dans une posture difficile, disent que baisser le soutien au budget toucherait directement des citoyens ordinaires au niveau de la santé de l'éducation et des projets de développement. Les experts du développement et autres chercheurs aiment le Rwanda. Le gouvernement est complètement engagé dans les solutions technocratiques à l'encontre de la pauvreté et ordonnera volontiers à ses citoyens de dormir sous des moustiquaires, d'accoucher en clinique et d'être vaccinés, et il laissera aux chercheurs le soin de mesurer et évaluer les résultats. Certaines de ces mesures sont bien sûr pour le bien du plus grand nombre. La lutte contre la malaria, les soins de maternité, et la sauvetage des vies sont des bienfaits indiscutables .

Mais forcer une femme à prendre des contraceptifs quand elle n'a pas vraiment le choix est une autre chose. Comme Sundaram souligne au cours d'une discussion sur le programme controversé de santé des mères qu'il a eu avec un journaliste:
Les femmes à travers le pays étaient directement dirigées vers l'hôpital. Et malgré leur peur des manipulations de leur corps par les équipes médicales, peur de ce qu'on leur injecterait, de ce qu'on leur ferait prendre comme médicament, le taux de participation des femmes montait. Les femmes posaient pour des photos-reportages où elles disaient qu'elles étaient heureuses à l'hôpital.
Gibson me dit: « Si on refuse, ou simplement on pose des questions, ils diront que nous sommes contre la volonté de l'État».

Le plus touchant peut-être, est ce qu'on trouve en annexe à la fin du volume, là où Sundaram documente les arrestations, les meurtres et les disparitions, de plus de 60 journalistes rwandais.

Comment le Rwanda décrit par Sundaram a pu émerger? Une bonne partie des clefs se trouvent dans le livre d'André Guichaoua: « De la guerre au génocide: les politiques criminelles au Rwanda 1990-1994. » Ce livre fondamental de 2010 est enfin accessible en anglais.
Guichaoua un sociologue expert témoin au Tribunal international pour le Rwanda et autres procès relatifs au crime de génocide précise le contexte complexe dans lequel le génocide de 1994 émergea. C'est une étude méticuleuse qui bouscule aussi bien la narration officielle du gouvernement actuel sur les causes, les faits et les conséquences du génocide, que les éléments du consensus de la communauté internationale et le négationisme des Hutu extrémistes qui tentent encore de faire valoir leur idéologie haineuse depuis l'étranger.
En effet ce qui est les plus frappant au sujet de « De la guerre au génocide » est comment il dissipe un mythe après l'autre sur le génocide et l'histoire rwandaise. Guichaoua démystifie d'entrée la fausse version des « vieilles haines ethniques entre Hutu et Tutsi » que la plupart des média colportaient en 1994. Il réfute également le lieu commun encore courant selon lequel le génocide était méticuleusement pré-planifié et exécuté par un cerveau. Guichaoua montre plutôt comment la décision de perpétrer le génocide a évolué avec le temps, particulièrement durant la semaine qui suivie le 6 avril, quand l'avion du président fut abattu. Il montre comment les élites hutu s'impliquèrent à partir du 12 avril, quand la décision du génocide pris forme, sur quoi faire et jusqu'où il fallait étendre les tueries. Cela ne veut pas dire que certains n'avaient pas déjà envisagé de telles horreurs, mais Guichaoua montre avec pertinence comment le génocide fut une option parmi d'autres possibles, et comment les plus extrémistes des chefs Hutu forcèrent la décision par la négociation, l'intimidation et la force.

La thèse centrale de Guichaoua est le fait que le génocide n'est pas juste apparu spontanément: il fut l'acmé de luttes non résolues pour le pouvoir et le contrôle des ressources (essentiellement les terres) qui empoisonnent le pays depuis l'époque coloniale jusqu'à aujourd'hui.

Cet argumentaire sur la guerre civile entre le pouvoir hutu d'alors et le front Patriotique est particulièrement convaincant. Comme le montre Guichaoua la guerre a fait irruption dans un contexte de transition politique difficile où il fallait surmonter les vieux contentieux hérités. Des plaies non cicatrisées souvent notamment autour de l'identité ethnique et du pouvoir, du clientélisme, des pressions internationales pour la démocratisation depuis la fin de la guerre froide, et du statut des réfugiés rwandais, ceux qui étaient à l'extérieur du pays depuis trois décennies en 1990.

Aucun camp ne pouvait gagner la guerre, mais le partage de pouvoir issu des accords d’Arusha, en Tanzanie était supposé résoudre ces enjeux.
Quand l'avion transportant les présidents rwandais et burundais fut abattu lors de son retour à l'aéroport de Kigali le 6 avril 1994, l'espoir d'une solution pacifique prit fin, avec la guerre qui dégénéra en génocide, l'avancée et la prise de contrôle de Kigali en trois mois, et finalement le débordement du conflit rwandais au Congo, dont les séquelles se perpétuent encore aujourd'hui.

Complémentaires, l'analyse historique de Guichaoua et celle plus contemporaine de Sundaram, soulèvent des questions essentielles sur le Rwanda d'aujourd'hui, à savoir si la vitrine érigée par le FPR dans la période post-conflit est durable. Les parallèles entre ce que Guichaoua décrit et la situation actuelle sont alarmants: une petite minorité issu d'un groupe ethnique contrôle pratiquement toute la vie politique sociale et économique; il n'y a pas de place pour une voie pacifique et significative qui échappe aux dirigeants; et comme le montre Sundaram les canaux d'information sont contrôlés et manipulés par les élites.

Les officiels rwandais aiment dire que l'avenir appartient aux Rwandais. Le problème est que cela donne un climat politique où il est pratiquement impossible de vérifier quels Rwandais veulent vraiment diriger leur pays. Dans les consultations sur qui n'approuverait pas l'accord donné à Kagamé pour un troisième terme à la tête du pays, les législateurs déclarent avoir consulté des millions de Rwandais dont seulement 10 qui disent que la prolongation de son mandat est une mauvaise idée. 10 dissidents sur une population de 12 millions est une remarquable trouvaille en effet, aussi remarquable que presque certainement fausse.

Nous ne savons tout simplement pas la vérité sur ce que veulent les Rwandais de leurs dirigeants politiques. Ce que nous savons est que cet autoritarisme- et son absence de choix significatif pour les gens à la base- fonctionne rarement indéfiniment. Comment- et pour combien de temps- les Rwandais et les amis internationaux de Kagame continueront-ils d'accepter de troquer l'absence de libertés politiques pour un développement inégal et des luttes de pouvoirs non résolues est toujours une question ouverte.























 

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